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attendait Augustin Thierry : Manzoni avait quitté Milan. Ce départ bouleversait tous ses projets. Il devait en novembre retrouver Fauriel à Montpellier, visiter avec lui le Languedoc où l’historien de la Gaule méridionale voulait sur place documenter ses travaux. Regagner Paris en attendant, le malade n’y pouvait songer. Il lui fallait la chaleur et le soleil et déjà les premières bises d’octobre annonçaient la venue de l’automne toujours âpre dans la cité de Calvin. Dans cet embarras, il ne savait que résoudre ; M. d’Espine vint fort à propos le tirer de perplexité.

L’aimable Genevois possédait une propriété dans le Midi, aux environs d’Hyères, où il se disposait à rejoindre les siens. Il invita l’écrivain à l’accompagner. Après une quinzaine agréablement dépensée à excursionner aux environs, tous deux se mirent en route pour la Provence[1].

Lorsqu’on se rend de Toulon à Hyères, sans emprunter la grand route de Nice, mais suivant la traverse étroite et tortueuse qui court au long du littoral, on rencontre aux deux tiers du chemin le bourg de Carqueiranne, étageant ses maisons claires aux pentes de la celle Noire.

C’est aujourd’hui une petite station balnéaire assez fréquentée, desservie par le « tortillard » des chemins de fer du Sud. De coquettes « bastides, » de pimpantes villas, enfouies sous les palmiers et les mimosas, perdues dans l’ombre des pins-parasols, encadrent ses deux plages des Salettes et de Coupereau, se poursuivant jusqu’à Fontbrun. De hautes croupes boisées : le mont Paradis, le mont des Oiseaux, détachées du massif des Maurettes, profilent à l’horizon leurs cimes vaporeuses. Du côté de la mer, une sente de douaniers épouse à travers d’épais fourrés de myrtes et de lentisques les méandres

  1. Ces courses assez longues furent poussées jusqu’à Chamonix, alors presque inconnu, et qui produisit une vive impression sur Augustin Thierry. Je lis en effet dans une lettre de 1852 adressée à Mme Holland :
    « Dans votre peinture des grandes scènes alpestres, j’ai parfaitement reconnu ce que j’ai vu et admiré moi-même, il y a vingt-sept ans, à l’aide de mes yeux déjà bien faibles et qui devaient s’éteindre l’année suivante. Le Mont-Blanc, la Mer de Glace, le Glacier des Bossons, la source de l’Arve, sont pour moi des lieux connus que je visite parfois dans mes rêves. Si mon imagination s’y reporte désormais, je n’y serai pas seul et vous me permettrez, madame, de m’y croire avec vous, de vous voir passer légèrement par-dessus les crevasses des glaciers et regarder au fond de l’abîme ces teintes bleues qui vous ont charmée et dont j’ai moi-même gardé le souvenir.