Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conquérir la première place. Son activité est inlassable. Il est en quelque sorte la cheville ouvrière du journal où il joue ce qu’on appellerait aujourd’hui les grandes utilités. Malheureusement il comptait sans la censure. Dans le furieux mouvement de réaction qui suivit l’assassinat du duc de Berry, « tué par une idée libérale », disait la Quotidienne, celle-ci venait d’être rétablie. Un de ses premiers actes fut de provoquer la suppression du Censeur Européen.


VI. — L’ACCUEIL DE LA SOCIETE LIBERALE

On s’imagine volontiers que le ton si haut monté, si brutal, parfois si grossier, des polémiques d’aujourd’hui est un phénomène antérieurement inconnu dans l’histoire de la presse française. C’est une erreur. Lorsqu’on parcourt les collections de journaux de la Restauration, on s’aperçoit que nos « aboyeurs » actuels les plus furibonds n’ont rien inventé. On s’injuriait, on se vilipendait, on se bafouait du camp libéral au « parti prêtre » avec le même acharnement, la même rage, les même délices raffinées qu’à présent. Houspillées, malmenées par lui, les feuilles royalistes ripostèrent de leur encre la plus corrosive au « jeune Augustin Thierry », ainsi qu’elles le qualifiaient dédaigneusement. Certain jour d’octobre 1818, pris à partie de façon plus acerbe encore que de coutume, celui-ci dépêcha comme témoins à l’insulteur son frère Amédée en compagnie d’Arnold Scheffer. Il tirait alors agréablement le pistolet et s’entraînait à l’escrime chez un ex-prévôt de la Garde nommé Deschamps. L’adversaire était moins belliqueux que sa prose. Il invoqua ses principes et l’affaire n’eut pas de suite.

En revanche, la fougueuse campagne dans laquelle il prodiguait avec tant d’éclat les ressources de son talent avait mérité au leader politique du Censeur la confiance et l’amitié de tous les gros bonnets de l’opposition. Au lendemain des élections de 1817, Augustin Thierry avait accepté les propositions de Laffitte qui lui offrait deux cents francs par mois pour écrire ses discours d’apparat. Sic vos non vobis : nombre de périodes les plus éloquentes du banquier homme d’Etat furent ainsi composées loin de la rue Cérutti par son collaborateur anonyme. A. Thierry recevait également quinze cents francs par an de Basterrèche pour la même besogne oratoire.