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peindre ; guerre à Mézeray, à Vely, à leurs continuateurs, à leurs disciples ; guerre enfin aux historiens les plus vantés de l’école philosophique, à cause de leur sécheresse calculée et de leur dédaigneuse ignorance des origines nationales. »

Si c’était une révolution en histoire, c’en était une également dans la manière et la méthode de celui qui la proclamait.

A ses débuts, en effet, si l’auteur des Révolutions d’Angleterre songe à devenir historien, c’est précisément à la façon des écrivains de l’école philosophique, pour abstraire du récit un corps de preuves et d’arguments systématiques, pour démontrer sommairement, non pour raconter en détail. Sous l’influence de ses dispositions nouvelles, son style va dépouiller une certaine raideur première, sa narration devenir plus continue, se colorer de nuances locales et individuelles. En un mot, sous l’uniformité de convention et le vernis de fausse élégance dont on avait recouvert quinze siècles de nos traditions nationales, retrouver le véritable aspect des temps, caractériser les époques, rendre à chacune sa physionomie propre, telle est la tâche que se donne ce novateur de vingt-cinq ans. Si nous n’avons garde aujourd’hui de confondre la cour de Louis XV avec celle du roi Dagobert, c’est à lui que nous en sommes redevables.

Les signes d’un tel changement s’observent déjà, dans les articles de 1819 ; ils sont plus apparents encore dans ceux de 1820, surtout dans cette Histoire de Jacques Bonhomme, d’une facture si vigoureuse et serrée. « L’éclat des vieilles chroniques, a dit excellemment Brunetière, l’éclairé çà et là de sombres reflets : elle fait penser à Tacite. C’est la mise en pied d’un personnage vivant, d’un héros d’infortune dont les souffrances séculaires se déroulent d’un conquérant à un conquérant, de César à Napoléon. »

Ce serait tracer un tableau incomplet de l’œuvre de journaliste d’Augustin Thierry que passer sous silence ses autres articles du Censeur européen. Avec la liberté rendue aux journaux, le recueil de Comte et Dunoyer s’était transformé, le 15 juin 1819, en organe quotidien. Un comité de rédaction où figurent, à côté de ses fondateurs, Châtelain, Auguste Comte, Paul-Louis Courier, Lami, Jouaust, Odilon Barrot, J -B. Say, va lui imprimer un accent de plus en plus prononcé d’amertume et de sarcasme dans la discussion des idées. Parmi cette savante pléiade, l’ancien secrétaire de Saint-Simon sut d’emblée