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sa pantoufle sur la pauvre terre. Quant au Hasard, bras dessus, bras dessous avec la Fortune, il bondissait de casino en casino, de plage à la mode en ville d’eaux, et se moquait bien de l’ennui de Paris et du mauvais état des prairies, les tapis de jeu restant toujours verts. On ne songea pas à utiliser l’aviation pour, au moyen de milliers d’avions, faire tournoyer sur Paris un innombrable ventilateur. Alors il ne restait plus aux Parisiens qu’à attendre la pluie, la pluie et ses délices, à l’attendre avec autant d’amoureuse anxiété que les arbres et que les herbes, qui, tout en n’étant pas accusés de littérature, se disaient certainement avec Chateaubriand : « Levez-vous, orages désirés ! » ou souhaitaient, à en mourir, « le bel orage » de la comtesse de Noailles.

Herbes, gazons, prés, pâturages, qu’étiez-vous, hélas ! devenus ? Moi qui ai toujours regretté de n’être pas une prairie, — non pour me laisser manger par les bêtes, bien que cela doive reposer des gens intelligents, — mais pour pouvoir goûter à fond le déroulement de l’indolence et ce vert repos étalé, toujours étendu, cette paresse végétale et silencieusement vivante, que je vous plaignais, que je souffrais pour vous ! Dans les jardins parisiens, pourtant arrosés, irrigués, soignés, de petits carrés bien portants semblaient conservés à grands frais en tant qu’échantillons d’une espèce disparue. Au Bois, et dans les bois, de larges espaces abandonnés à leur sort ne présentaient que paillasson mourant, ou disparition complète du moindre brin vif, retour à la terre nue, comme si, lasse aussi d’avoir si chaud, la vieille terre sans pudeur avait rejeté sa tunique émeraude. Toutes les herbes de la Saint-Jean étaient mortes, et le jour de l’Assomption, jadis appelé jour des Herbes, parce que, à cette date, on en jonchait les dalles des églises, coutume charmante établie peut-être en souvenir de l’âne et du bœuf de la crèche, ce jour-là, on n’aurait pu trouver assez d’herbe fraîche pour faire le tapis d’une petite chapelle, aux pieds de Marie. Mortes les herbes des sorcières, et les herbes sages et bénéfiques ! Morts la fléole et le vulpin, les paturins et la fétuque durette, et le trèfle porte-bonheur, et le sainfoin, et la flouve odorante ! Mortes toutes les herbes folles que j’adore et dont je ne sais pas les noms (sauf le vôtre, ô folle avoine, ma jolie ! ) Herbes folles dont je voudrais tout un grand pré, sans que nulle sagesse vous pallie, vous étiez sèches, dispersées,