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VI. — AMÉRICAINS ET JAPONAIS

Nous avons montré, autour du Grand Océan, et surtout en Chine et en Sibérie, le conflit aigu d’intérêts matériels très précis. En Amérique, à propos de la pénétration des Jaunes dans les États de l’Union, c’est plutôt d’un conflit psychologique qu’il s’agit. C’est le problème de l’égalité des races humaines qui est en jeu, mais chacun le résout selon ses intérêts et ses passions. En elle-même, la difficulté est très claire : les Japonais et, en général, les Jaunes, pourront-ils entrer aux États-Unis aux mêmes conditions que les autres immigrants, s’y établir, y travailler, y ouvrir des écoles, y jouir des droits de citoyens américains ? Non, répondent les Américains et particulièrement ceux de l’Ouest, car ils formeraient dans l’Union un élément inassimilable ; c’est déjà trop des Noirs qu’il faut bien tolérer comme un châtiment du crime de les avoir autrefois importés comme esclaves ; mais la race jaune est trop prolifique ; le travailleur jaune n’a pas le même standard of life que l’ouvrier blanc ; il travaille à meilleur marché et, s’il vient à réclamer salaire égal, ce sera duperie, car son rendement est beaucoup moindre. Le jaune n’a pas non plus la même morale ; il n’est pas chrétien. Ainsi sous le problème politique et ethnique apparaît une question sociale et morale : « L’avenir confondra peut-être toutes les teintes en une seule couleur, mais ce temps n’est pas encore venu[1]. » Mieux vaut donc restreindre le plus possible l’immigration des Japonais et empêcher, par des lois spéciales, ceux qui sont déjà aux États-Unis d’y constituer une sorte d’Etat dans l’Etat. Les grandes agglomérations blanches du Pacifique, les Dominions du Canada, d’Australie et de Nouvelle-Zélande sont du même avis que leurs frères anglo-saxons des États-Unis ; ils cherchent à exclure de leur territoire ces mêmes Japonais dont le gouvernement est l’allié de celui de l’Empire britannique ! « L’accord de gentlemen, » signé en 1908enlre M. Elihu Root et M. Takahira, fait appel à la bonne foi réciproque des deux pays : le territoire des États-Unis est ouvert en principe aux Japonais, mais le

  1. New-York Tribune, 11 décembre 1920. — Voir sur ces questions de races et de couleurs le livre, qui a fait beaucoup de bruit aux États-Unis, de M. Lothrop Sloddard : The rising tide of color (New-York, Scribner’s sons, 1 vol. in-8o