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qui est ainsi réservée à la France s’étend fort loin au Nord de la Syrie, englobant Adana, Marash, Sivas, Kharpout et Diarbékir. Dans toute cette région, la Turquie reste souveraine, mais nous pouvons être appelés à réorganiser l’administration et la police locale, et nous n’avons aucun moyen de rien faire, aucun espoir de rien obtenir, que par une collaboration confiante avec le Gouvernement ottoman. Aujourd’hui, l’hostilité des Khemalistes rend impossible toute exécution pacifique du traité ; et, pour qu’il ne devienne pas lettre morte, nous concentrons à grands frais des troupes importantes en Cilicie. Pourrons-nous longtemps persister dans ce paradoxe, une paix écrite qui empêche la paix réelle ?

Pourquoi donc y a-t-il aujourd’hui deux Gouvernements en Turquie, un Gouvernement docile aux Alliés, mais impuissant, un Gouvernement hostile et surexcité par nos prétentions ? Est-ce par la faute de la France ? Non certes. Longtemps avant la guerre, l’Empire ottoman avait reconnu la situation privilégiée de la France en Syrie, et il n’en prenait pas ombrage. Il s’accommodait fort bien également de la constitution des zones d’influence et savait même en tirer des avantages variés. Il ferait même aujourd’hui son deuil de la Mésopotamie et du Hedjaz et, d’une manière générale, partout où il serait directement en contact avec l’Angleterre, l’Italie et la France, il trouverait sans peine avec nos Alliés et nous des arrangements amiables. Il n’y a point à nous dissimuler que ce qui a le plus vivement excité le nationalisme turc, c’est la large part faite à la Grèce, soit en Thrace, soit en Asie Mineure.

Je ne sais s’il est quelqu’un qui soit à même de dire comment cette part a si étrangement grandi entre le point de départ des négociations et le 10 août 1920. Au lendemain de l’armistice, M. Venizélos, très sagement inspiré, n’avait émis que des vœux beaucoup plus modestes ; il ajournait à des temps lointains des annexions que son pays ne lui semblait pas en état de supporter ; ce n’est qu’après de longs séjours en Angleterre qu’il a peu à peu conçu de si grandes ambitions. Nous ne pouvions cependant ignorer qu’en augmentant la part faite à la Grèce, nous augmentions nos risques et nos responsabilités. La Grèce est, en effet, membre originaire de la Société des nations et le pacte de la Société des nations figure au frontispice du principal traité de Sèvres comme à celui du traité de Versailles. Or, vous vous rappelez l’article 10 qui vient de déterminer l’Argentine à se retirer de la Société des nations et qui n’est pas abrogé : « Les membres de la Société s’engagent à respecter et à