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le meilleur port de la Syrie, qu’on rattacherait artificiellement à la Mésopotamie; et, enfin, deux peuples alliés achèveraient d’assurer à l’Angleterre la domination morale de l’Asie Mineure, les Arabes du Hedjaz et les Grecs. Les grandes ambitions que M. Venizélos nourrissait pour sa patrie vinrent favoriser la réalisation de ce vaste programme oriental. Que pouvait-on refuser à l’illustre homme d’État hellénique? Il avait entraîné son pays dans la guerre, il avait formé des divisions pour renforcer l’armée de Salonique, il nous offrait l’éternelle amitié d’une nation jeune, mais héritière d’un glorieux passé, et, pour combattre la barbarie touranienne, pour sauver la civilisation dont la Grèce avait été le berceau, il était prêt à nous donner une active coopération. Il proposa de débarquer à Smyrne et d’aider les Anglais à se débarrasser du nationalisme turc. M. Lloyd George, séduit par cette idée, détermina le gouvernement français à s’y rallier et, en acceptant ainsi ce qu’ils considéraient comme un service, les Alliés s’engagèrent, du même coup à gratifier la Grèce de compensations qui pèsent aujourd’hui lourdement sur le traité de Sèvres. Les intrigues du pangermanisme ont, réveillé l’Angleterre de son beau rêve oriental. Cette famille des Hohenzollern dont le chef devait être, d’après les déclarations solennelles du premier ministre anglais, poursuivi et condamné, sortait brusquement de son caveau provisoire. Le Reich versait ouvertement à l’ancien Empereur des millions qui appartenaient, en vertu du traité de Versailles, aux États créanciers et la sœur de Guillaume II poussait son royal époux à détruire dans le Levant l’œuvre combinée de M. Venizélos et de la Grande-Bretagne. Si pénible que fût cette déception pour Lord Curzon et pour ses collaborateurs, ils n’en réalisèrent pas immédiatement, toutes les suites. Orientés dans un sens, ils eurent quelque peine à rectifier, sous la pression d’événements imprévus, la position qu’ils avaient prise. Alors que M. Georges Leygues essayait d’adapter la politique des Alliés aux exigences du nouvel état de choses, l’Angleterre, un peu effrayée de notre impétuosité, opposait à notre hâte la lenteur de la patience et de la réflexion. Elle se raccrochait aux débris de son programme, et, par peur des résolutions inconsidérées, elle risquait de laisser passer les jours sans en prendre aucune. C’est dans ces dispositions d’esprit assez différentes que s’est poursuivie la conversation et, bien qu’elle fût, cette fois, facilitée par un vif désir d’entente dont il faut nous féliciter, il n’était guère possible d’espérer qu’elle aboutît à un règlement immédiat des questions orientales. To wait and see, telle est décidément la devise de la diplomatie alliée.