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Mes longs cheveux flottaient, des zéphirs caressés ;
Les alcyons passaient, alanguis et lassés.
Tout à coup retentit ton grand nom : Aphrodite !
Ainsi me saluaient, étonnée, interdite,
Les pêcheurs abusés dont les dieux s’égayaient.
Excuse leur démence !
Ils m’avaient aperçue et c’est toi qu’ils voyaient,
Comme en ce premier jour où, dans ta gloire immense,
Ton beau corps ruisselant des pleurs du flot amer,
Tu t’élevais, superbe, au-dessus de la mer.


L’heure et le lieu, la mer, le ciel et le soir, l’apparition radieuse et « la terreur sacrée » qu’elle répand, le paysage et l’état d’âme, l’un et l’autre antique et païen, il n’est rien ici que la musique n’exprime avec autant de grâce que de splendeur. Faut-il dire par quels éléments, ou quels moyens ? Essayons. La basse, pour commencer, arpégeant lentement et près de vingt fois de suite le même accord, étend partout un calme solennel. Sur cet accompagnement imitatif la voix de Phryné, timide encore, pose, puis déroule tout bas une ample mélodie, d’où se répand sur la baigneuse solitaire et peu à peu troublée, l’influence nocturne des Dieux. Puis des gammes agiles, des notes, de flûte, pareilles à des gouttelettes sonores, se croisent et rejaillissent autour d’elle. Avec quel éclat retentit la salutation divine ! « Aphrodite ! » A s’entendre ainsi nommer, l’orgueil, l’enthousiasme envahit la belle créature. L’orchestre s’enfle et se soulève. Il fait affluer plus que la vie, l’immortalité même, au cœur de cette mortelle que vient de sacrer déesse la flatteuse méprise des nautoniers. La symphonie bouillonne, écume, et d’un suprême élan la jette enfin sur le rivage. « Le flot qui l’apporta recule, » non pas épouvanté, mais enorgueilli, et Phryné depuis longtemps s’est tue, que l’orchestre acclame encore le miracle de la branlé se levant sur le monde pour la première fois.

Après la Phryné de M. Saint-Saëns, et pour terminer, la Pénélope de M. Fauré. Tout de suite, étant donnée la présente étude, vous devinez quel épisode nous, revient en mémoire : moins qu’un bain cette fois, une ablution locale et légère, mais un chef-d’œuvre encore, de pur style grec, auguste et familier. « Euryclée, tu laveras les pieds de notre hôte étranger. » Au fond de la scène, la vieille nourrice obéit et soudain reconnaît son maître, mais ne le trahit pas. Cependant, sur le devant du théâtre, l’épouse continue de rêver à l’époux, qu’elle ne sait pas si proche, à l’attendre, à l’appeler. Doucement la