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M. ALEXANDRE MILLERAND

Presque arrivé au terme normal d’un voyage effectué pour la propagande de la pensée française en Argentine et en Uruguay, au milieu de l’Océan, comme j’échangeais les rigueurs « attiédies de l’hiver américain avec les effluves de l’Afrique désertique, j’ai appris la démission de M. Paul Deschanel. Je n’en fus pas surpris. J’avais quitté la France à la fin de juin à un moment où était prévisible le dénouement qui est venu affliger ceux qui n’attendent pas d’en être atteints pour déplorer les disgrâces de la destinée. Je pensai qu’il était tout de même attristant de voir un long désir, qui a suivi toute une vie le même sillon, toucher au sommet en même temps qu’au déclin et s’éteindre le lendemain du jour où il a resplendi.

Mais, en même temps, j’apprenais l’élection de M. Millerand. J’avais connu son désir ardent de ne pas être candidat. Mais tout de même, je ne fus pas étonné de son triomphe. Ce n’était pas que je pusse accuser de caprice le moins versatile des esprits. Mais je savais que l’homme public ne s’appartenait pas, que l’heure commande, que le service du pays exige. Moins qu’un autre, M. Millerand pouvait, au moment où, pour des raisons différentes et autant que pendant la guerre, la France a besoin d’union, laisser se soulever les candidatures multiples dont les querelles quelquefois meurtrières entament par avance l’autorité de l’élu. Il est allé à son devoir. Je suis sûr qu’il a passé le seuil de la Maison de la France avec la même sérénité qu’il eût observée si un autre à sa place l’eût franchi. Il ne s’y était pas préparé. Mais il était prêt tout de même. C’est, en effet, le lot des hommes publics supérieurs de ne pas se donner seulement à une hypothèse de destin, de s’assouplir à toutes, en un mot d’être prêts quand vient l’occasion et de ne pas défaillir lorsqu’elle