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de poésie véritable. On supprime le temps, l’horizon, les brouillards où s’enveloppe la vérité du passé, pour affirmer grossièrement que la force de jadis, qui édifia ces murailles éboulées, reste toujours active et vivante. Mais toutes ces pierres, assemblées avec art, ne nous offrent que des rêves refroidis d’archéologues et d’architectes ; elles ne font quelque illusion que dans la brume du soir ; et tout ce vieux neuf ennuie là où la ruine enchantait.

Ah ! oui, le moyen âge des Anjou et des Corvin, je le retrouve, ce matin, à Bude, mais tout neuf, agressif, aveuglant pour l’esprit et pour les yeux. Sur ce plateau où les maçons de Bray-sur-Somme et les artistes italiens avaient donné carrière à leur génie, l’esprit allemand n’a inspiré qu’un triste pensum d’écolier. A tout ce bric-à-brac héroïque, comme je préfère ce qui, à Bude, a conservé son caractère de petite ville bourgeoise, ses vieilles rues endormies, ses vieilles maisons jaunes, simples, mais d’une bonne époque, qui ne veulent pas s’en faire accroire et acceptent l’humble vie que le temps leur a faite avec une charmante modestie ! Près de leurs puits rouilles, dans leurs cours intérieures, j’entends bien mieux que dans le faux décor moyen-ageux, le murmure que fait l’histoire autour de la vieille citadelle. Tout cet amas de pierres qui voudraient être éloquentes, ne fait que troubler cette harmonie, tandis que la plus simple inscription sur le plâtre met tout de suite l’esprit en rumeur, comme le moindre bruit résonne dans le silence de la nuit.

Et voilà qu’au passage je reconnais un des endroits les plus gracieux de Bude, où naguère je suis venu bien souvent. C’est une pâtisserie, qui date du Directoire ou des premiers jours de l’Empire. Boiseries, lustres, glaces, trumeaux, victoires ailées qui tiennent des couronnes au-dessus des compotiers, frises, moulures, rien n’a changé dans le décor que le premier patron, qui s’établit en cet endroit, avait choisi pour sa boutique. J’entre, je reconnais toutes choses, et au fond des vitrines les mille petits objets étranges, faits d’étoile et de sucre, d’une invention saugrenue, d’un goût prodigieusement démodé, qui semblent eux aussi avoir plus de cent ans.

C’est là qu’à certains jours de nostalgie et de brume, devant une bizarre liqueur qui sentait la pharmacie, Français perdu dans cette ville étrangère, et qui n’avait, hélas ! d’autre