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vainqueur les clefs de leur cité dans l’antique Albe Royale, tombeau des plus anciens rois de Hongrie. L’Asie s’installe sur la colline. Tout ce qui rappelait ici la France et l’Italie, fut déménagé ou détruit ; la cathédrale du roi Mathias devint une mosquée ; les galères de Soliman emportèrent dans douze cents caisses en cuir de buffle tous les trésors de la ville ; et pendant longtemps on put voir les statues de Hunyade, de Mathias Corvin et de sa femme, et les grands lampadaires de bronze qui ornaient leur palais, exposés en trophées sur l’hippodrome de Byzance. Villes, châteaux, monastères, tout le pays fut ravagé. La Hongrie redevint, ce qu’elle était aux temps des premières invasions : une immense étendue de pâturages et de marais. Et deux siècles et demi plus tard, lorsque Charles de Lorraine, à la tête d’une armée où toutes les nations de l’Europe avaient envoyé des soldats, reprit d’assaut la citadelle, il n’y restait plus rien des monuments et des trésors qu’avaient rassemblés là-haut les Anjou et les Hunyade.


Dans ces dernières années, les Hongrois se sont efforcés de redonner du lustre à cette vieille cité de Bude, et d’y construire quelque chose qui rappelât aux imaginations les grandeurs d’autrefois. Depuis les promenades que j’y faisais jadis, on a bâti là-haut des remparts, des bastions, des redans, des tourelles, des escaliers gigantesques ; reconstitué l’église de Mathias ; édifié un ministère dans le goût du moyen âge. Mais on ne refait point le passé. Même avec beaucoup de science, même avec beaucoup d’amour, on ne redonne jamais la vie à ce qui a cessé d’être, Ce qu’a détruit le temps ne peut ressusciter que dans l’esprit d’un passant qui rêve. C’est une idée tout allemande de solidifier des songes et de condenser des fumées. Aux bords du Rhin, on a toujours aimé ces reconstitutions pédantes, qui d’une ruine romanesque font un château neuf fastidieux, et d’un vieux burg croulant, hanté par les fées de la rive et les esprits des airs, une sotte bâtisse, d’où l’imagination et les oiseaux de nuit s’envolent pour laisser la place au concierge. Là-bas, la mélancolie romantique se transforme tout de suite en assez niais désir de redonner à des choses, qui ne sont plus guère qu’un souvenir, une brutale apparence matérielle. Et dans ce désir de restaurer ce qui a été naguère et de perpétuer des aspects d’autrefois, il faut voir, je crois, plus d’orgueil que