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vers la terre. Tout ce qui reste dans cet enclos du Despote du Banat ou de l’Hospodar de Valachie, c’est un fragment de voûte romane, une cave, un pilier où s’accrochent la vigne et la cage à serins. Auprès de ces vestiges, de modestes rentiers, des fonctionnaires à la retraite, de petits artisans mènent la vie la plus paisible. Mais cette tête de Turc coupée, ce pilier, cette voûte, c’est assez pour émouvoir l’imagination du passant, et lui rappeler que sur cette colline, si embourgeoisée aujourd’hui, de grandes choses se sont passées.

Ce vieux rocher de Bude est comme Marathon, Salamine ou les Champs Catalauniques, un des lieux où s’est débattu le sort de notre civilisation dans sa lutte avec l’Orient. Pendant des siècles, la vaste plaine qui vient mourir au pied de la haute colline, a exercé sur les peuples d’Asie un irrésistible attrait. Le long du chemin qu’ils suivaient depuis les frontières de la Chine, c’était une admirable étape pour dresser un moment la tente, faire souffler les chevaux, les abreuver au grand fleuve, et reprendre ensuite la marche à la conquête du butin de l’Occident. Au pied même de Bude, Attila établit son camp, ce célèbre Etzelburg, qui, dans l’imagination du poète des Nibelungen, apparaît comme le centre du monde. Après lui, bien d’autres hordes encore de Tartares et de Mongols ont tournoyé dans cette plaine, paraissant et disparaissent comme des colonnes de poussière, ou comme ces mirages que la fée Delibab se plaît à faire miroiter à l’horizon de ces plates étendues. Seuls les Hongrois, venus, dit-on, des régions du Pamir, s’installèrent fortement dans ce pays. Ils firent, pendant longtemps, l’effroi de l’Europe occidentale, jusqu’au jour où, renonçant au culte de l’Etalon Blanc, ils embrassèrent la religion romaine et devinrent contre leurs frères d’Asie les champions de la Chrétienté.

Cela se passait, il y a mille ans, sous le roi saint Etienne. La colline de Bude restait encore déserte, car ces pâtres guerriers ne se plaisaient qu’aux espaces herbus, où paissant librement le cheval et le mouton, et qui leur rappelaient les steppes d’où ils étaient partis. Mais, initiés par leur religion nouvelle aux mœurs de la vie citadine, ils montèrent sur la colline et construisirent là-haut, pour la première fois, l’église, la maison et le rempart.

Durant des siècles, ce rocher fortifié devint l’enjeu de la lutte entre l’Orient et l’Occident. Sans cesse, du fond de la steppe, les