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êtes-vous si pressé ? Est-ce parce que vous n’êtes pas sûr de continuer à m’aimer ?

Archer se leva brusquement :

— Mon Dieu ! peut-être… je ne sais pas, répondit-il avec colère.

May se leva aussi et ils se trouvèrent face à face. Elle semblait grandie, plus femme par la stature et la dignité. Tous deux se turent comme troublés par le cours imprévu que prenaient leurs paroles. Enfin elle dit à voix basse :

— Y a-t-il quelqu’un entre vous et moi ?

— Quelqu’un entre vous et moi ? — Il redisait les mots lentement, comme s’ils n’étaient qu’à moitié intelligibles, et qu’il eût besoin, pour les comprendre, de les répéter. May parut frappée par cette hésitation, car elle ajouta, d’une voix plus grave :

— Parlons franchement, Newland… J’ai eu le sentiment quelquefois que vous aviez changé envers moi, particulièrement depuis que nos fiançailles sont officielles.

— Ma chérie ! Quelle folie ! s’écria-t-il, en se ressaisissant.

— Si c’est une folie, cela ne nous fera aucun mal d’en parler. — Elle s’arrêta, puis ajouta, en relevant la tête avec un de ces gestes empreints de noblesse qui la caractérisaient : — Et même si c’était vrai, pourquoi n’en parlerions-nous pas ?… Vous pouvez si bien vous être trompé !

Il baissa la tête, regardant l’ombre des feuilles sur le chemin ensoleillé :

— Si je m’étais trompé, pourquoi vous supplierais-je de hâter notre mariage ?

Elle abaissa son regard, suivant du bout de son ombrelle le dessin des feuilles sur le chemin, et cherchant visiblement ses paroles.

— Vous pourriez désirer, une fois pour toutes, trancher la situation… C’est un moyen.

Sa calme lucidité étonna Archer ; mais sous les grands bords du chapeau, il vit la pâleur du visage, et remarqua un léger frémissement des narines au-dessus des lèvres immobiles et résolues.

— Expliquons-nous, ma chérie, dit-il, se rasseyant.

Elle s’assit à côté de lui et continua :

— Ne croyez pas que les jeunes filles soient aussi ignorantes