Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/803

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mrs van der Luyden n’étant pas encore revenue, Archer prit congé et remonta dans son traîneau, pendant que Beaufort entrait dans la maison avec Mme  Olenska. Malgré l’habitude des van der Luyden de ne pas encourager les visites imprévues, il pouvait espérer être retenu à dîner, et reconduit à la gare pour le train de neuf heures. Mais c’était tout. Jamais ses hôtes n’auraient pensé à demander à un visiteur venu sans bagages de passer la nuit chez eux ; dans les termes assez froids où ils se trouvaient avec Beaufort, la question ne se posait même pas.

Beaufort le savait et ne devait pas s’en étonner, mais qu’il eût entrepris le long trajet pour une si petite récompense, voilà qui pouvait donner la mesure de son zèle. Il était clair qu’il poursuivait Mme  Olenska, et quand il poursuivait une jolie femme, Beaufort n’avait qu’un but. Son intérieur morose l’excédait depuis longtemps : et les consolations permanentes qu’il s’était octroyées ne l’empêchaient pas de se mettre en quête d’aventures amoureuses dans son monde. Tel était l’homme que Mme  Olenska avait fui. Était-elle obsédée par ses importunités ? Doutait-elle d’elle-même, ou encore cette fuite n’était-elle qu’une feinte et son départ de New-York une simple manœuvre ? Archer ne le pensait pas. Si peu qu’il eût vu Mme  Olenska, il croyait commencer à lire sur son visage, et il avait été témoin de son désarroi à l’apparition soudaine de Beaufort. Mais qu’elle eût fui Beaufort, n’était-ce pas là le danger pour Archer ?

Jugeant Beaufort, et sans doute le méprisant, il était possible néanmoins qu’elle fût attirée vers lui, par tout ce qui composait son prestige : ses relations à New-York et à Londres, son commerce familier avec des artistes et des acteurs, son dédain des préjugés locaux. Beaufort était un parvenu sans éducation, mais les circonstances de sa vie et une certaine vivacité d’esprit naturelle, rendaient sa conversation plus intéressante que celle d’hommes plus distingués, mais dont l’horizon n’avait jamais débordé New-York. Comment une jeune femme revenue d’un monde plus vaste ne serait-elle pas sensible à ce contraste ?

Mme  Olenska avait dit à Archer qu’elle et lui ne parlaient pas la même langue, et il sentait que jusqu’à un certain point c’était vrai. Mais cette langue d’Ellen Olenska, Beaufort en connaissait toutes les nuances ; il pouvait lui donner la réplique. Il y avait dans toute sa mentalité une certaine ressemblance avec