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tenant pas en place, adorant au fond ce milieu mouvementé et dangereux de la Cour. Que lui reste-t-il de la princesse de Clèves ? Son amour ? Il n’y a pas que l’amour, il y a la favori d’aimer. La sienne est-elle celle du roman ? Comparons.

Anne d’Este était née à Ferrare, le 10 novembre 1631, d’Hercule d’Este et de Renée de France qui était la fille de Louis XII. Elle avait donc douze ans de moins que François de Lorraine, et Jacques de Nemours, son contemporain, ne comptait qu’un mois de plus qu’elle. Le père du Tasse chanta sa naissance et celle de ses deux sœurs. « Ces trois sœurs, assure Brantôme, étaient les plus belles qui naquirent jamais en Italie. » A six ans, Anne charmait les cardinaux par la grâce de sa danse, à dix elle savait le grec. Renée de France avait composé de la Cour de Ferrare un milieu d’une culture et d’une élégance raffinées. Quand la jeune fille vint en France à dix-sept ans pour y épouser le duc de Lorraine, ce fut un éblouissement. « Elle était, dit encore Brantôme, la plus douce, la meilleure, humble et affable princesse que l’on eut sceue voir. Encore qu’en sa façon elle se monstrast altière et brave, la nature l’avait faict telle tant en sa beauté et belle taille qu’en son grave port et belle majesté si bien qu’à la voir on eût toujours appréhendé de l’aborder, mais l’ayant abordée et parlée, on n’y trouvait que toutes douceurs, toutes candeurs et débonnairetés, tenant cela de son grand-père le bon père du peuple et du deux air français. » Ce deux air français de blonde réservée et pleine de noblesse s’alliait à la finesse italienne qui, dans les pires traverses, demeure clairvoyante et sait tirer parti des événements.

Il est à croire que le mariage fut heureux. Comme dans les contes de fées, ils eurent beaucoup d’enfants, cinq en six ans. L’exigeante Mlle Poizat en eût souhaité davantage et eût volontiers choisi Anne d’Este pour un prix Cognacq dans le dessein honorable de démontrer sa vertu. Car elle voit une preuve de la rupture du ménage dans le fait qu’après avoir mis au monde cinq enfants la duchesse de Guise s’arrêta de procréer, jusqu’à son second mariage où Nemours lui en donna trois. C’est là piétiner bien des mystères. Le baron de Ruble nous assure au contraire que la duchesse était encore enceinte moins d’un an avant l’assassinat de son mari, ce qui implique bien, de toutes manières, une réconciliation. Quand le duc de Nemours