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laine ou de damas, de maroquin d’Espagne, sièges recouverts de velours, de cuir, de soie, étalage sur les meubles, les parois, les costumes de ville ou de mascarades, de drap d’or, de toile d’or ou d’argent, de damas, de velours, de taffetas, de serge, et sur cet immobile éclat des étoffes le reflet mouvant des armes dans les panoplies et assourdi des reliures dans les bibliothèques, c’est un luxe qui rappelle celui des châteaux de François Ier et d’Henri II[1].

Jacques de Savoie-Nemours tenait à faire a sa femme les honneurs de son palais ducal, à lui montrer que, dans Annecy lointaine et ceinturée de montagnes, elle pourrait retrouver le goût, l’élégance, la culture, même avec quoi elle avait été élevée à la cour de Ferrare, et dans quoi elle avait accoutumé de vivre à la cour de Lorraine et au Louvre. Car la nouvelle duchesse de Nemours n’était autre qu’Anne d’Este, veuve de François de Lorraine, duc de Guise, c’est-à-dire du plus grand homme de guerre de son temps, lieutenant-général du royaume et quasi maître de la France. Le poignard de Poltrot de Méré avait privé la France du vainqueur de Calais et de Dreux et la devait précipiter dans les plus cruelles catastrophes, de la Saint-Barthélemy aux assassinats d’Henri de Guise et d’Henri III. Il avait rendu sa liberté à la belle Anne d’Este, fille du duc de Ferrare et de Renée de France, celle que Ronsard avait appelée Vénus la Sainte et dont la beauté blonde devait triompher de tous les malheurs et du temps lui-même. De cette liberté elle avait disposé en faveur de Jacques de Nemours, qui passait pour son amant, mais qui, l’ayant été de Françoise de Rohan, en éprouvait de grandes tribulations devant les tribunaux. Leur mariage avait été contracté le 30 avril 1566. Moins de trois mois après, ils venaient à Annecy, accompagnés de tous les Guise : Mme Antoinette de Bourbon, veuve de Claude de Lorraine et mère de François de Guise, le cardinal de Lorraine, archevêque de Reims, et le cardinal de Guise, archevêque de Sens, plus les enfants d’Anne d’Este, Catherine, la future duchesse de Montpensier, Henri et Louis, qui devaient être plus tard assassinés[2].

  1. Mémoires et documents publiés par la Société savoisienne d’histoire et d’archéologie, t. XXXVIII : Trois inventaires du Château d’Annecy (1393, 1549, 1585), par Max Bruchet (Chambéry, 1899).
  2. Revue savoisienne, journal publié par la société florimontane d’Annecy, 28 février 1883 : Entrée de Jacques de Savoie et d’Anne d’Este à Annecy, par le chanoine Ducis.