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pour « l’enfant malade et douze fois impure, » — livre enfin où l’auteur a mis toutes ses complaisances. Au fond de ses premiers héros, il y a comme un catholique désaffecté qui se jette à la passion et à la sensualité amoureuses, au milieu de toutes les transes de la damnation et avec la peur de l’enfer.

C’est ce premier Bourget qui a séduit les femmes et les jeunes gens d’une génération déjà lointaine. La gloire du grand écrivain traditionnaliste et religieux qu’il est devenu, s’est édifiée en partie sur le charme de celui-là.

Ces œuvres de la première manière ont été surabondamment analysées et commentées. Les maîtres de la critique, de Ferdinand Brunetière et de Jules Lemaitre à Emile Faguet, ont écrit sur elles des études définitives. Dans cette Revue même, il n’y a pas bien longtemps, M. Victor Giraud consacrait à l’œuvre entière de l’écrivain deux grands articles qui semblent bien avoir épuisé la matière : le second Bourget y est caractérisé, lui aussi, dans ses tendances essentielles. Je n’ai pas la prétention de recommencer une besogne bien faite. Dans les livres appartenant à cette deuxième manière, je néglige le romancier et le conteur qui sont devenus et qui deviennent encore de plus en plus extraordinaires. Je voudrais seulement considérer ici le reconstructeur social, politique, idéologique et religieux.

Tout de suite, je m’empresse d’ajouter qu’il ne s’agit nullement d’établir une sorte de cloison étanche entre la première et la seconde manière. Le Disciple ne marque point à proprement parler une orientation nouvelle de l’écrivain. Ce roman, qui fit tant de bruit lors de son apparition, précise tout simplement et développe, avec un extrême éclat, des idées et des préoccupations déjà anciennes. Le Bourget sentimental de Cruelle énigme n’est pas mort à cette date. On peut même dire qu’il vit toujours ; que, maintenant encore, les deux grandes formes et les deux grands courants de son inspiration se mêlent et s’entre-pénètrent. On devine très bien à laquelle de ces deux inspirations il a donné son cœur. L’homme passionné n’a fait que se soumettre à une règle. A côté de l’œuvre de sa sensibilité, (déjà si imprégnée d’intelligence et de conscience morale), il a dressé l’œuvre de sa raison et de sa volonté. Il peut aimer toujours la première, — et je crois bien qu’il lui garde une tendresse persistante, — mais la seconde s’impose à lui avec une puissance si persuasive qu’elle fait taire la voix gémissante des