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me laissaient plus mélancolique. Tout cela, décidément, était sans joie, sans chaleur rayonnante, sans charme attirant, sans bonhomie. Et si c’était quelquefois de la beauté réelle, c’était de la beauté en exil, — en exil comme moi-même. Je rentrais au Lycée, l’âme noyée de tristesse, — et, je me souviens : dans cette grande désolation des soirs de sortie, je n’avais d’autre réconfort, en montant au dortoir par un escalier monumental à double évolution, que de contempler, au-dessus de ma tête, au plus haut de la coupole, une grande fresque dans le goût classique, qui représentait la « gloire » de je ne sais plus quel saint, ravi au ciel, parmi les battements d’ailes et les musiques des séraphins. Et je finissais par m’endormir en rêvant de paradis perdus ou impossibles à conquérir…

Les poésies de M. Paul Bourget me sont donc restées chères, parce qu’elles évoquent pour moi ce cadre un peu désolant de notre adolescence et de notre jeunesse, avec tous les sentiments qui se rattachent à ce milieu et à cette minute de notre vie. Mais elles signifient davantage : elles expriment plus qu’un moment, — une véritable évolution, une manifestation nouvelle de la sensibilité française entre ces mornes années, qui vont de 1880 à 1885. Quel que soit le jugement que l’on porte, avec l’auteur lui-même, sur cette partie de son œuvre, il n’en est pas moins vrai qu’elle précisait une date de notre histoire intellectuelle et sentimentale.

Ce fut un moment de lassitude, où nous crûmes avoir perdu, avec le goût de l’action, le goût même de la vie. Nous affections en effet

… ce dédain de vivre qui commence
A prendre les meilleurs et les plus purs de nous…

La défaite de 1870 explique en grande partie cette lassitude. Quand on se sent des vaincus, quand on appartient à une nation humiliée, qu’on voit les grandes avenues de l’avenir barrées à toute initiative vraiment féconde, la tentation est bien forte de se retirer de la mêlée, et, comme on disait alors, de se proclamer « démissionnaires. » La jeunesse de ce temps-là portait d’ailleurs le poids d’une fatigue très ancienne, antérieure à la défaite :

Et nous sommes très vieux et nos bras sont tremblants…

Ses aînés avaient gaspillé leurs forces en une foule de luttes