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Salone et avait construit son palais là où s’élève aujourd’hui Spalato, que Raguse a été fondée par les Latins et est restée sous la domination de Venise aux XIIIe et XIVe siècles. Mais tout cela n’empêche pas les Dalmates d’être des Slaves, et lorsque Mgr Buliè, que j’ai revu si joyeux à Paris après l’armistice, me faisait visiter, il y a bientôt vingt ans, Spalato et les fouilles de Salone, c’était pour la liberté d’une Dalmatie slave qu’il formait ouvertement des vœux. « La monarchie des Habsbourg, me disait-il, est condamnée; elle se dissoudra tôt ou tard; et notre servitude prendra fin. » Grâce aux accords de Santa Margherita, ces vieilles espérances se sont réalisées. Puissent maintenant l’Italie et la Yougo-Slavie entretenir, sur toutes leurs frontières communes, des relations de bon voisinage! Le comte Sforza a dit que, par la convention signée, Italiens et Slaves avaient infligé une nouvelle défaite à l’Autriche-Hongrie. Ils ont, en effet, opposé à la renaissance de la monarchie dualiste l’obstacle le plus insurmontable, une entente durable entre Rome et Belgrade.

Malheureusement, pendant que la paix européenne semblait se consolider à Rapallo, elle était ébranlée ailleurs. L’échec de M. Venizélos en Grèce est un des symptômes les plus alarmants de l’interversion qui se produit peu à peu, dans l’esprit du monde, entre les vainqueurs et les vaincus de la guerre. Un Français, qui se trouvait à Cologne au moment où y est arrivée la nouvelle des élections grecques, me rapportait ce propos d’un Allemand avec lequel il était en rapports d’affaires : « C’est notre revanche qui commence. Elle continuera demain en Haute-Silésie, contre la Pologne; nous nous sommes arrangés pour cela. » Ce n’est pas expliquer le grave insuccès de M. Venizélos que de rappeler l’ingratitude dont la Grèce antique s’est rendue coupable vis-à-vis d’un si grand nombre de ses hommes d’État. Sans doute, à en croire Plutarque, l’ostracisme n’était pas une punition; c’était une sorte de satisfaction donnée au peuple, qui aimait à rabaisser ceux dont l’élévation lui portait ombrage et qui ne trouvait que dans leur chute l’apaisement de son envie. Mais, tout de même, lorsque Thémistocle était banni d’Athènes, il avait poussé les choses un peu loin en bâtissant un temple à Diane Aristobule pour rappeler aux Grecs qu’il leur avait toujours donné les meilleurs conseils; lorsqu’Alcibiade était condamné à mort par contumace, le peuple était convaincu qu’il avait violé les mystères d’Eleusis; lorsqu’Aristide était exilé, un électeur paysan pouvait bien expliquer son vote en disant qu’il était las d’entendre toujours parler d’Aristide le Juste; mais Thémistocle avait réussi à faire