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découverte des sons et des parfums, la découverte des nuits, et surtout, à travers la poésie et l’amitié, à travers Dieu lui-même, cette quête obscure de la volupté !… » Cette jolie page n’est assurément pas le compliment que les bons éducateurs attendaient de leur ancien élève. Sans doute ne croyaient-ils pas que les senteurs affolantes de la forêt qui prépare ses éclosions fussent entrées dans les cours sablées et peu ombragées de leur collège et que leurs collégiens s’en pussent apercevoir d’une si alarmante façon.

Le Claude Favereau de M. François Mauriac vient de sortir du séminaire et, à la première page du volume, il prend le train pour s’en retourner à la maison de son père, un paysan, maitre-valet dans un château du Bordelais. Peu s’en est fallu que ce jeune garçon ne fût prêtre : il se destinait au sacerdoce ; puis ses directeurs ont bien vu que sa vocation n’était pas vive. Ce qui lui reste d’une éducation qu’il a menée assez loin, plus loin qu’un autre fils de paysan, n’est que finesse de l’intelligence et de la sensibilité. Sera-t-il malheureux, parmi les rustres, ses parents et les divers jardiniers et fermiers, ses compagnons ? Il ne le serait pas extrêmement, car il a conservé une gentille simplicité de cœur et une bonhomie aimable. Mais voici que M. François Mauriac lui donne pour voisins de tous les jours et pour amis des gens fort riches, — peu importe ! — et si dépravés qu’on ne saurait imaginer rien de plus vil dans la bourgeoisie contemporaine. M. François Mauriac, qui analyse avec un art délicieux les troubles d’une âme intelligente et ingénue, s’est diverti à la peinture des mauvaises mœurs, d’une façon qui prête à sourire ; pour ainsi dire, il en a mis plus que de raison. C’est horrible et amusant. Le contact de son jeune séminariste manqué avec de si perverses créatures à cet effet de nous procurer, par moments, le même genre de plaisir que l’on éprouve à tels contes badins du siècle avant-dernier, où le libertinage et la vertu ont de si jolis entretiens. Une jeune fille est au château. Elle porte le gracieux nom de May. Et elle a un frère qui lui enseigne la rêverie périlleuse. Elle compose sa bibliothèque un peu hardiment des Saintes Écritures, d’Eschyle et de Charles Baudelaire. Comme elle appartient à la religion prétendue réformée, Claude lui réfute l’erreur de Calvin, l’avertit de ne pas confondre l’infaillibilité du Pape et son impeccabilité, la supplie d’admettre que les indulgences, qui ont servi de prétexte à l’hérésie, coïncident avec le dogme de la communion des saints. Puis, un jour, Claude et May sont au jardin. Claude monte à une échelle accotée contre la maîtresse branche d’un prunier. « Donnez-moi les plus mûres, » dit May à Claude. « Elle lève un visage