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poser sur le fleuron de pierre d’une arcade ou sur la sphère de l’astronome méditant.

L’enceinte du Wawel renferme l’ancien château des rois de Pologne et la cathédrale où ils ont leur sépulture. La dernière fois que j’étais monté sur la colline, c’était au printemps de 1913 : église et château disparaissaient à moitié dans un encombrement de bâtisses déshonorantes, lazarets ou casernes, qu’y avaient installées les Autrichiens. Je voulais revoir le Wawel purifié, rendu à sa grandeur, comme la Pologne à la liberté. M. Thadée Stryienski s’offrit à m’y conduire : il est le frère de ce Casimir Stryienski, que Paris a connu et aimé. Architecte de talent et archéologue érudit, il connaît l’histoire de toutes les briques de Cracovie. Après avoir visité quelques églises et fait le tour du quartier juif, nous nous dirigeâmes vers le Wawel. Tout en gravissant la rampe qui mène à l’entrée de la citadelle, mon guide me racontait avec bonne humeur comment, aux heures difficiles, il avait soutenu la confiance ébranlée de ses compatriotes. « Je n’ai jamais pu comprendre, me disait-il, le désespoir ni le doute ; croiriez-vous qu’aujourd’hui encore, il y a ici des gens pour douter et pour gémir ? — Nous faisons la guerre depuis six ans, soupirait l’autre jour devant moi un jeune homme. Je lui ai répondu : — Comment ! tu fais la guerre, et tu te plains ? Et ton grand-père, qui fut chassé de son pays ? Et ton père, qui, après avoir vécu cinquante ans en exil, est mort sans avoir jamais vu la Pologne ? Songe à leur sort, et bénis le tien. »

Je ne reconnaissais plus le Wawel. La haute terrasse crénelée qui domine la Vistule, et le long de laquelle on circulait à grand’peine, s’élargit maintenant jusqu’au mur du château. Rasés, les casernes autrichiennes, les lazarets, les magasins et autres baraques sordides ; il ne reste sur la colline que les édifices que les rois de Pologne ont bâtis, et quelques-uns des arbres qu’ils ont plantés. Je veux revoir, dans la cathédrale, les hauts sarcophages de marbre et de porphyre abrités sous leurs baldaquins, la magnifique plaque de bronze où le cardinal Frédéric Jagellon est représenté deux fois, agenouillé devant la Vierge, et étendu mort ou endormi, dans ses habits pontificaux, la chapelle italienne du roi Sigismond et ce curieux monument de style français, dont on ne connaît pas l’auteur.