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l’intérêt. Il est parfaitement inutile qu’un chroniqueur, même spirituel, vienne révéler à Varsovie les menus faits de la vie parisienne, les préférences artistiques de nos « hommes du jour » et les manies de nos grands comédiens, ou qu’un député expose en long et en large au public polonais un problème de politique intérieure ou de tactique parlementaire qui n’aurait pas en Pologne son équivalent. Les conférences vaudront ce que valent les conférenciers.

Mais c’est surtout par le livre que nos idées peuvent se répandre en Pologne et que notre influence doit s’y fortifier. Or partout où je me suis arrêté, j’ai entendu les mêmes doléances ; partout les Polonais m’ont dit : « Nous n’avons plus de livres français. » L’ancien volume à 3 fr. 50, qui vaut aujourd’hui 5 et 6 francs, est vendu en Pologne 80 et 90 marks : mieux vaut dire qu’il n’y est pas vendu du tout. Quelques libraires de Cracovie, de Lwow et de Varsovie ont remis en montre leurs vieux fonds de boutique, et, dans la vitrine réservée aux ouvrages français, j’ai eu le plaisir médiocre de voir figurer, à des prix relativement accessibles, les romans de Paul Féval, ceux de Paul de Kock, l’histoire du colonel Ramollot et quelques « parfaits secrétaires. » En revanche, les dernières productions de la science, de l’histoire et de la littérature allemandes s’étalaient partout. Question de change, dira-t-on ; donc inconvénient temporaire. Il y a en effet la question du change, il y a celle de la publicité et de l’envoi plus ou moins régulier des catalogues ; il y a enfin la force de l’habitude. Si nous attendons pour faire rentrer nos livres en Pologne, que les conditions du change se soient modifiées, nos livres n’y rentreront plus, et nos idées pas plus que nos livres. Au point de vue économique, nos auteurs et nos éditeurs, faute de consentir pour quelques années des tarifs de faveur et de s’imposer un sacrifice momentané, perdront définitivement une clientèle importante ; au point de vue moral, et même politique, j’ai à peine besoin de marquer les conséquences qu’entraînerait une complète interruption des rapports intellectuels entre les deux pays.

« Si encore, faute de pouvoir acheter vos meilleurs livres, nous pouvions les traduire, me disait un journaliste de Cracovie, excellent lettré et grand ami de notre pays. Mais les tarifs imposés par la Convention de Berne sont actuellement