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de l’influence allemande, si elle avait dû prévaloir, ce serait chose faite depuis longtemps. Au moment où les fonctionnaires prussiens quittaient notre pays, un de mes amis demanda à l’un d’eux, avec qui il avait entretenu des relations satisfaisantes : « Pourquoi nous avez-vous aussi constamment, aussi opiniâtrement maltraités ? De quelle intention s’inspirait donc votre conduite envers nous ? » L’Allemand lui répondit : « Si nous ne vous avions pas tenus à l’écart, et même persécutés, c’est vous qui auriez assimilé, conquis nos fonctionnaires et nos immigrés. Votre civilisation est plus ancienne que la nôtre, et puis vous possédez le charme, qui nous manque. »

« Quant à la résistance des éléments allemands dans mon diocèse, je ne la redoute ni ne la prévois. Vous savez que la frontière politique déterminée par le Traité de Versailles ne coïncide pas avec la frontière ecclésiastique : de sorte que je reste l’évêque d’environ 100 000 Allemands. Je confierai cette partie de mon diocèse à un administrateur, que je choisirai parmi les chanoines allemands des chapitres de Poznan et de Gniezno ; les droits de ce fonctionnaire ecclésiastique seront définis d’accord avec le gouvernement de Berlin : je les conçois, pour ma part, identiques à ceux dont jouissent mes autres vicaires généraux, investis de fonctions analogues. La situation est évidemment délicate, mais elle n’a rien d’inquiétant.

— Oserai-je vous demander, Monseigneur, comment l’ex-roi de Prusse, comment le gouvernement prussien, connaissant vos sentiments, ont pu donner leur agrément à votre élection au siège de Poznan ?

— Je n’ai pas été élu, réplique le cardinal avec un sourire, mais nommé par le Saint-Siège, et voici comment. Aux termes du concordat de 1821, les évêques de Posnanie étaient désignés au pape par le gouvernement prussien qui les choisissait lui-même sur la liste dressée par le chapitre. Selon que les chanoines mouraient dans un mois pair ou dans un mois impair, le choix de leur successeur était attribué au Souverain Pontife ou au roi de Prusse. Lorsque la mort de Mgr Likowski amena la vacance du siège, au printemps de 1915, il se trouva que le chapitre était composé en grande majorité d’Allemands, les chanoines s’étant obstinés à mourir pendant les mois impairs, au plus grand profit du roi de Prusse. Si l’on s’en