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Par-delà cette rumeur et ce remuement de chaque soir, silence, grandeur du paysage immémorial. Des eaux toutes lisses, ondulantes, des côtes lointaines qui s’étirent. Mais tout près, fermant le port par derrière, droit au-dessus de toute cette marine, une bien calme et simple image, — un peu surprenante tout de même, en ce lieu, tant elle est d’essence différente. Quelques masures, au bord d’une humble falaise de roches et de ronces ; des prés en pente, baignés, ce soir d’automne, de deux soleil oblique ; une grande feuillée montante ; — et par en haut, rien qu’une pointe de clocher qui passe. Entre des bouquets d’arbres, on devine de minuscules chaumières. Paisible, champêtre présence, que bleuit, engourdit un peu de brume vespérale. À deux pas du massif serré de la ville, à toucher le rectangle d’une morne usine, ce paysage des Plomarc’hs prend comme une apparence de vision, de fantôme du souvenir.


Les Plomarc’hs : c’est pour eux, surtout, que je reviens à Douarnenez. Il n’y a rien qui m’enchante plus, au vieux pays de Cornouailles, nulle retraite cachée de la campagne où je me sente mieux dans les temps antérieurs. Toute l’essence de la Bretagne s’y concentre.

On n’a qu’à grimper le raide escalier, au flanc de la « friture, » et l’affreux cube disparaissant par en bas, l’on y est. Voilà, tout près, les grands arbres vénérables ; et voici le sentier, voici le hameau au bord de la falaise, — bien petit : huit ou dix logis à peine, mais tous très vivants. Des gamins en bérets de pécheurs jouent au bouchon sur le chemin. Une vieille, sur la marche d’une porte, file sa quenouille, et son chat dort à côté sur le tas d’ajoncs secs. Des poules picorent. Devant nous, un homme rentre, son ciré sous le bras ; une femme qui porte un tout petit vient à sa rencontre, et lui tend le marmot qu’il caresse.

Que de fois cette scène est-elle revenue sur le sentier qui domine le port, au pied de ces mêmes logis ! L’un d’eux, au fond d’une cour boueuse, est de pierre noble. Sur un de ses blocs, à côté du cintre de la porte, la date 1589 s’inscrit en rude et grand relief, et, à l’étage, au linteau d’une petite fenêtre toute empalée de chaux, on en distingue une autre, du XVIIIe siècle. Deux