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de la rue du Rhu ! Ce jour-là, les sardiniers de Douarnenez reviennent de loin, en mer, pour entendre leur clocher leur sonner la Saint-Michel, qui, depuis toujours, est proprement leur fête.

Ainsi vit, travaille, fermente ou somnole cette petite cité bretonne dont les hommes, de tout temps, ont répété les gestes invariables des pêcheurs. Là non plus, la vie n’a guère changé. Souvent, au Champ de Foire, je me suis arrêté devant les longs bancs où les anciens viennent tous les jours se retrouver, chiquer ensemble ou s’offrir des prises de tabac. Ils se tiennent serrés l’un contre l’autre, et généralement se taisent. Ils ont des cheveux blancs, en broussaille, sous leurs bérets limés, de rudes barbes blanches en collier ; quelques-uns portent aux oreilles de petits anneaux de cuivre. Leur regard ne regarde pas : il y a du vague et du bleu, du ciel et de la mer dans leurs lentes prunelles. Leurs pauvres corps s’affaissent dans leurs vareuses, leurs mains gourdes gisent sur leurs genoux. Avant eux, combien d’autres, dont les souvenirs, le rêve devaient être tout semblables, sont venus à la même place se chauffer au tiède soleil d’automne ! J’ai connu ceux d’il y a trente ans (au temps où l’on rencontrait encore des bragou braz au marché), et l’image que j’en ai gardée se confond toute à ma vision d’aujourd’hui. Au port de pêche, je puis voir ceux qui viendront se reposer là dans trente ans…


Ce port de pêche, entre la petite falaise boisée des Plomarc’hs et la digue, qu’il est vivant et populeux ! C’est comme le gite secret où se retrouve, le soir, après l’éparpillement sur les champs de pêche, un peuple d’oiseaux marins. Comme ils s’affairent ! Quelle presse, que d’ailes en mouvement, à cette heure-là, avant l’ordre et le silence de la nuit ! Par petites compagnies, ils rentrent, les bateaux. Il en arrive toujours de nouveaux essaims : voiles brunes, presque noires, et tendues, de l’avant à l’arrière, en un seul plan oblique, basses à masquer tout le pont quand ils sont au vent, à l’allure du plus près. Ensemble, ils virent, et changent l’amure. Silence, précision de ce vol, comme de goélands qui, près du sol, tournent soudain pour se poser. Mais déjà on amène la toile, chaque bateau court sur son erre, et l’on est au mouillage. Au bout d’une heure, il