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stylisation. Qui verrait, pour la première fois, ces broderies pourrait croire à des siècles de civilisation à part, comme ceux que nous atteste la moindre soie fleurie de l’Inde ou de la Chine.

Mais on échappe ici à la hantise du passé. Malgré tout ce qui le rappelle, — vieux pavé, vieilles maisons, aspect archaïque des humains, — on ne sent pas son fantôme flotter comme dans les retraites de la campagne environnante. La vie est trop robuste, il y a trop de joie saine, les voix, les rires sonnent trop dru ; trop de belles filles, la journée finie, circulent en bandes d’amies heureuses, par cinq, par six, la main dans la main, illuminant la sombre rue de leur jeunesse et de leurs magnifiques rubans, — et comme leur langue est bien pendue pour répondre aux garçons ! Et les matins de marché, quel bruissement de foule, que de carrioles ferraillant sur la chaussée de l’étang, au débouché de la route de Quimper !


C’est aux jours de grande liesse qu’il faut voir cette étonnante Pont-l’Abbé. En cette dernière semaine de septembre, j’y trouve la fête de la Treminou. Le vrai Pardon se tient, le quatrième dimanche, dans la campagne voisine, sur le vert parvis d’un oratoire paysan. Mais, les soirs qui suivent, la ville est comme folle. Sur la place de la Madeleine, les forains sont installés, balançoires, carrousels, tournantes, stridentes batteries de trompettes, claquement de tirs à la carabine, parades de paillasses, dont le satin jaune miroite sous des flots de lumière crue, — tout cela, que nous connaissons trop, d’aspect plutôt rare ici, fascinant pour des yeux bigouden, étrange pour nous-même, au milieu d’un peuple si différent de celui de nos foires de France. Grand contraste entre ces autochtones et les étrangers à cheveux noirs, dans leurs échoppes et roulottes. Deux races, deux mondes qui s’opposent. D’un côté, souplesse et veulerie des visages, des allures : des femmes en cheveux, en sarraux de lustrine, ou bien bras nus, en maillots collants : des mercantis en vestons fripés, fumant leurs cigarettes ou clamant d’une voix éraillée leurs boniments français. De l’autre, cette grandeur primitive du type et du vêtement, cette foule d’aspect sibérien, demi-mongol, dont les ors, les vermillons éclatent sur les fonds noirs, aux feux aveuglants de l’acétylène. Dans la mitraille des musiques à vapeur, sur les bêtes de bois, les femmes trônent et tournent, figées dans la volupté du rythme,