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— C’est la preuve que vous les choisissez vous-même chaque jour. Pour rien au monde je ne voudrais que votre bouquet arrivât toujours à la même heure, comme un professeur de piano, car je saurais alors que vous l’avez commandé d’avance une fois pour toutes. Ainsi avait fait Lawrence Lefferts, lorsqu’il s’est fiancé avec la pauvre Gertrude.

— Ça leur ressemble, dit Archer, enchanté de cette fine remarque.

Et il se sentit assez sûr de lui-même pour ajouter :

— Quand je vous ai envoyé des muguets hier, j’ai vu quelques belles roses jaunes, et je les ai fait porter à la comtesse Olenska. Ai-je bien fait ?

— Comme c’est gentil ! Cela lui fait tant de plaisir quand on pense à elle ! Ce qui m’étonne, c’est qu’elle n’ait pas parlé de vos roses. Elle a déjeuné avec nous ce matin, et nous a dit que Mr Beaufort lui avait envoyé de magnifiques orchidées et que Mr van der Luyden avait fait venir pour elle de Skuytercliff toute une corbeille d’œillets. Il semble que ce soit nouveau pour elle de recevoir des fleurs. N’en envoie-t-on pas en Europe ? Elle trouve que c’est une coutume charmante.

— Mes fleurs auront été éclipsées par celles de Beaufort ! songea Archer, légèrement piqué. Puis il se souvint qu’il n’avait pas joint sa carte à l’envoi des roses, et regretta d’en avoir parlé. Il était sur le point de dire : « J’ai été voir votre cousine hier, » mais il hésita. Si Mme  Olenska avait passé sa visite sous silence, mieux valait faire comme elle. Tout cela prenait un air de mystère qu’Archer n’aimait qu’à moitié. Pour changer de sujet, il se mit à parler de leur mariage, de leur avenir, et de l’obstination de Mrs Welland à prolonger le temps des fiançailles.

— Rappelez-vous qu’Isabelle et Reggie Chivers ont été fiancés deux ans, Grace et Thorley près d’un an et demi ! Et puis, est-ce que nous ne sommes pas très bien comme nous sommes ?

C’était la réponse classique de toute jeune fiancée. Archer s’en voulait de la trouver un peu puérile dans la bouche de May, qui avait près de vingt-deux ans. Et il se demandait à quel âge les femmes « bien élevées » commençaient à penser par elles-mêmes.

— Nous pourrions faire beaucoup mieux que d’attendre : être ensemble tout à fait, voyager.