Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armée très forte, deux choses à faire : chercher une alliance, chercher une clientèle. Une grande alliance est très difficile à trouver. Dans le sein de la Sainte-Alliance pour longtemps on ne la trouvera pas. Trop de choses s’y opposent, les souvenirs de la Révolution et de l’Empire, les idées ou préjugés des trois Puissances contre l’esprit de propagande libérale de la France, le partage de la Pologne, qui unit les spoliateurs, et qui fait, la France ayant un intérêt trop évident à ce que la Pologne existe, qu’on la soupçonnera toujours de vouloir la refaire, même quand elle déclarera le plus fortement n’y pas prétendre, et qu’on sera toujours uni contre elle dans cette crainte. En dehors de la Sainte-Alliance, il y a l’Angleterre, à laquelle il faut toujours songer. L’Angleterre n’est ni forcément l’ennemie de la France, ni forcément l’alliée de la Sainte-Alliance. Elle peut même ne pas aimer qu’une Puissance allemande s’avance vers l’Escaut, ni que la Russie s’avance vers Constantinople. Comme Puissance à territoire inextensible en Europe, et comme Puissance maritime, elle est l’ennemie naturelle du peuple européen qui est conquérant, — c’est pour cela qu’elle l’était de Napoléon, — et elle est le partisan naturel de l’équilibre européen. À ces deux titres, elle est plutôt avec nous, maintenant que nous ne voulons plus être conquérants, et que nous voulons être partisans du statu quo en Europe. Il y a tout lieu de montrer des dispositions très amicales à l’égard de l’Angleterre. Seulement, il faut y avoir très peu de confiance, parce que, au fond, ce à quoi tend naturellement l’Angleterre, c’est à être une Puissance sans alliés. Elle peut, donc elle s’en avisera ; car c’est très commode. Elle s’acheminera vers une politique égoïste, comme tous ceux qui, à la rigueur, n’ont besoin de personne. Elle se désintéressera de l’Europe et reportera toute son attention sur son empire, c’est-à-dire sur la mer. Ménager l’Angleterre, sans du reste compter sur elle, rechercher sa bienveillance, sans se flatter de l’avoir jamais pour alliée vraie, et puisque c’est, d’ici longtemps, la seule possible, ne s’attendre à aucune grande alliance en Europe, voilà la situation d’esprit où il faut virilement se tenir.

A défaut d’une grande alliance, la France peut se créer une clientèle. Elle peut être la protectrice naturelle des petits peuples. L’évolution de l’Europe depuis deux siècles consiste dans l’écrasement des faibles et dans l’établissement de grandes