Chivers, et la comtesse entretenir cet aimable hypocondriaque, M. Urban Dagonet de Washington Square, qui faisait fléchir pour elle sa règle immuable de refuser toute invitation à dîner entre les mois de janvier et d’avril. Le duc et la comtesse bavardèrent pendant près de vingt minutes ; puis, la comtesse se leva, et traversant seule la vaste pièce, elle alla s’asseoir près de Newland. L’étiquette à New-York voulait qu’une dame attendît, immobile comme une idole ; c’était aux hommes à se succéder à ses côtés. Sans doute elle ignorait cette règle. Elle s’assit, avec une aisance parfaite, dans le coin du canapé près d’Archer et posa sur lui son chaud regard.
— Parlez-moi de May, dit-elle.
Au lieu de lui répondre, il demanda :
— Vous connaissiez déjà le duc ?
— Oui, nous le voyions tous les hivers à Nice. Il aime beaucoup le jeu. Il venait souvent à la maison. — Elle dit cela le plus naturellement du monde, comme elle eût dit : « Il aime beaucoup la pêche à la ligne. » Et, non moins naturellement, elle ajouta : C’est, je crois bien, l’homme le plus ennuyeux que j’aie jamais rencontré.
Cette réflexion plut tellement au jeune homme qu’elle dissipa sa légère contrariété : c’était amusant de rencontrer une femme qui trouvait ennuyeux le duc et qui osait le dire ! Il aurait voulu questionner la jeune femme, plonger dans sa vie passée, que des paroles prononcées négligemment avaient éclairée de lueurs furtives. Mais il eut peur de toucher à des souvenirs troublants, et déjà, elle était revenue à son premier sujet.
— May est adorable ! Je n’ai pas vu à New-York une jeune fille aussi jolie et intelligente. Je pense que vous en êtes très amoureux…
Newland rougit et se mit à rire :
— Naturellement.
Elle le regarda, songeuse :
— Croyez-vous, dit-elle, qu’il y ait une limite à l’amour ?
— À l’amour ? S’il en est une, je ne l’ai pas trouvée.
Elle rayonna de sympathie :
— Alors, c’est réellement et sincèrement un roman ?
— Le plus romanesque des romans.
— Voilà qui est délicieux ! Et vous avez trouvé cela vous