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Gotha, mais de nobles parents dont on suivait encore les traditions.

Si Archer chérissait son vieux New-York, c’est qu’il était sensible à toutes ces nuances, même quand il en souriait avec quelque ironie.

Les van der Luyden avaient fait de leur mieux pour entourer la circonstance de solennité. Ils avaient sorti les Sèvres des du Lac, l’argenterie George II des Trevenna, le service de la Compagnie des Indes, et les magnifiques assiettes « Crown Derby. » Mrs van der Luyden ressemblait plus que jamais à un Cabanel, et Mrs Archer avait au cou les émeraudes de sa grand’mère enchâssées dans des marguerites de perles ; elle évoquait ainsi pour son fils les miniatures d’Isabey. Toutes les dames étaient parées de leurs plus beaux bijoux dont les montures, pour la plupart un peu lourdes et démodées, s’harmonisaient à l’atmosphère générale. La vieille Miss Lanning portait les camées de sa mère et un grand châle de blonde espagnole.

La comtesse Olenska était la seule jeune femme. Cependant, en examinant les visages des dames mûres avec leurs colliers de perles et leurs panaches de plumes, Archer fut frappé de les voir si enfantins, comparés à celui d’Ellen Olenska. Il pensait avec un frisson à ce qu’elle avait dû traverser pour en revenir avec ces yeux-là !

Le duc de Saint-Austrey, assis à la droite de la maîtresse de maison, était naturellement le personnage important du dîner. Si d’ailleurs la comtesse Olenska était moins brillante qu’on ne l’avait espéré, le duc, lui, avait l’air totalement insignifiant. Il n’était pas venu comme un précédent visiteur ducal en veste de chasse ; mais son habit était si défraîchi, si déformé, il le portait avec si peu d’élégance, courbé sur sa chaise, sa vaste barbe couvrant le plastron de sa chemise, qu’il n’avait pas l’air en tenue de soirée. Court, hâlé, le dos rond, les yeux petits, le sourire aimable, il parlait peu et d’une voix si basse qu’en dépit des silences attentifs, ce qu’il disait n’était entendu que de ses plus proches voisins.

Quand les hommes rejoignirent les dames après le dîner, le Duc piqua droit sur la comtesse Olenska, s’installa près d’elle, et tous deux se plongèrent dans une conversation amicale. Ni l’un ni l’autre ne sembla se douter que le duc aurait dû, d’abord, présenter ses hommages à Mrs Lovell Mingott et à Mrs Headley