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mariage) ; désormais la fortune est à lui ; il donne à la femme une somme fixe pour les dépenses du mois, ne lui parle pas de ses affaires (cependant il la consulte ordinairement pour le choix d’un logement, pour l’établissement d’un enfant). Elle ne s’occupe que du ménage, oublie son éducation, ne lit guère ou plus du tout, est embarrassée et n’a plus rien à dire en société, devient une pure house-keeper[1]. Appelée par hasard au salon, elle a encore le tablier avec lequel elle vient de faire une tarte. Le plus souvent, si son mari reçoit des étrangers, a une conversation intéressante, il ne la fait pas venir. Très souvent encore, il n’invite pas chez lui un étranger qui lui est recommandé ; il le mène à son cercle l’Harmonie ou tout autre, et là lui fait connaître des amis. Tous les soirs, ses affaires finies, il y va passer deux heures, fumant, buvant de la bière. La femme reste seule au logis, avec ses enfants, et reçoit parfois ses amies.

Mes hôtes louent beaucoup la politesse française, qui rend coulante et aimable la vie ordinaire, le « vous » du mari et de la femme, des enfants et des parents. » Cela empêche d’être rude dans les moments où on est grognon. » Ici le tu est universel, entre beau-père, belle-mère, gendre, belles-sœurs, beaux-frères ; de même entre amis. En Autriche, tous les officiers du même grade, depuis le fils de prince jusqu’à l’officier de fortune, se tutoient. Au bout de quelques jours de connaissance, à Vienne, on propose à Mme  P… de tutoyer hommes et femmes et d’être tutoyée dans la famille où elle va.

Conversation en allemand avec trois jeunes gens de vingt à vingt-quatre ans, en montant à la Bastei. Très complaisants, très polis, très bienveillants. Aux moindres plaisanteries ils rient du meilleur cœur ; il partait qu’ils n’y sont pas habitués ; ils ne sont pas difficiles. Je cueille une plante, je demande son nom, c’est Johannis Wedel[2], « l’éventail de saint Jean. » « Je crois que le pauvre saint Jean n’avait guère d’éventail. » Et de rire. — Ils me montrent un rocher qu’ils appellent : der Pastor. « Wo ist die Frau Pastorin ? »[3] La gaité ne finit plus. — Sensés et pas prétentieux, pas vaniteux. Ils me parlent avec bon sens de la guerre possible entre la France et la Prusse. « C’est bien dommage que le Parlement soit en vacances, la

  1. Ménagère.
  2. Reine des prés.
  3. Où est la femme du pasteur ?