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vin dans les petites restaurations borgnes, dont l’entrée est obscure, se mettent très haut au théâtre. Autrement, quatre ou cinq ans après, lorsqu’ils demanderaient à leur chef une augmentation en lui disant qu’ils ne peuvent faire vivre leur famille, celui-ci répondrait : « Ah ! ah ! mon gaillard, et où trouvez-vous de l’argent pour aller aux grandes loges, pour boire le verre de vin ? » Tout le monde se connaît ; les mœurs sont d’une petite ville, et on se cache ; tel restaurateur qui avait des majors, des ingénieurs, des avocats, et gagnait beaucoup d’argent grâce à son entrée borgne, a fait faillite parce qu’il est allé dans une belle rue et s’est fait une belle entrée.

Le mouvement socialiste est important et inquiétant. Des tailleurs, des ouvriers dont on me dit le nom, sont des chefs rêveurs, enthousiastes, avec des vues philosophiques saugrenues sur la nature (probablement à la Fourier). Dans le livre de l’un d’eux, il y a un chapitre pour montrer que les mouches sont une partie essentielle de la civilisation. Sie grübeln und schwärmen[1]. Rien de plus fréquent en Allemagne que le don de s’exalter par la méditation silencieuse et de divaguer en systèmes baroques. Plusieurs, dans leurs écrits, déclarent que tout homme qui ne travaille pas de ses mains est un parasite, beaucoup d’assemblées d’ouvriers, en différentes villes, à la Wartburg, etc. Cela fait des clubs où on s’échauffe ; on remarque déjà chez beaucoup de la défiance, un manque de bienveillance, même un fond d’hostilité contre les gens à habits.

Sur les mariages. Pas beaucoup plus de liberté qu’en France pour se voir avant les fiançailles. La plupart des mariages se font pourtant par inclination ; peu importe de quel côté est la fortune ; la vérité est qu’elle est le plus souvent du côté de la femme. Pour qu’un officier puisse se marier, il faut que sa future justifie d’une dot de 13 000 thalers au moins. Beaucoup d’officiers n’ont rien, et c’est leur femme qui leur apporte, de l’argent. Quantité de spinsters[2] ici (un professeur de Leipzig me disait que c’est d’ordinaire le sort des filles de professeurs). D’après l’usage, la femme apporte non seulement son trousseau, mais tout le mobilier ; le mari ne l’emmène pas dans sa maison à lui, mais entre dans la sienne à elle. Là il est seul maître, gère seul la fortune (sauf exception, on se marie sans contrat de

  1. Ils rêvassent et s’exaltent.
  2. Vieilles filles.