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IV

Ses principes de politique, extérieure ont le même caractère de prudence, de docilité aux faits et de réalisme. Je dis ses principes ; car il lui est arrivé, rarement du reste, de les oublier dans la pratique. Mais ses idées générales et l’ensemble de sa conduite partent bien d’une vue juste de l’état que la Révolution et l’Empire ont fait à l’Europe pour un siècle. Il y a pour lui deux périodes très tranchées dans l’histoire de notre politique extérieure depuis 1815, c’est à savoir : avant 1830, après 1830. Non pas qu’en durant, la monarchie légitime, rétablie en 1814, n’eût passé naturellement de la première période à la seconde ; mais elle y eût passé par degrés, et 1830 constitue un brusque changement de front et nous fait subitement une nouvelle situation devant l’Europe. De 1815 à 1830, la France est une puissance de second ordre, et presque une puissance neutralisée. Elle a devant elle une coalition attentive qui lui a, sinon imposé, du moins instamment proposé son gouvernement, et à laquelle il n’y a, sinon qu’à obéir, du moins qu’à condescendre avec le plus de dignité possible. L’amour-propre en souffre, mais les plus grandes nations ont passé par ces épreuves ; on en revient, et ce sont des périodes de recueillement, de convalescence, d’aménagements et de réformes intérieures qui ne sont pas sans utilité ni sans profit dans la vie des peuples.

1830 est une insurrection contre la monarchie légitime, et en même temps, à un certain degré, une insurrection contre l’Europe. Cela change tout. C’est un affranchissement. C’est l’acte par lequel la France, de quasi neutralisée, se refait puissance autonome, et de puissance de second ordre se remet en chemin de redevenir puissance de premier ordre. Ce ne sont pas des satisfactions et des allégresses bruyantes que ce changement doit apporter avec lui, ce sont d’immenses devoirs nouveaux.

Devoirs de prudence d’abord, devoirs d’énergie ensuite. Devoirs de prudence : nous ne sommes qu’à quinze ans de 1815. L’Europe doit se demander et se demande si c’est la France de 1792 ou la France de 1810 qui prétend renaître. Il faut lui prouver que c’est la France des Cent-Jours avec le