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centre, et l’y a fortement assuré, énergiquement fortifié, d’une part en détruisant ou réduisant les pouvoirs locaux répandus sur la surface du territoire, d’autre part en transformant les classes privilégiées, c’est-à-dire autonomes, en hiérarchies de fonctionnaires. Par ces deux moyens, elle a constitué une autorité formidable, qui tend sans cesse à devenir le despotisme, qui le devient de temps en temps, et qui, dans l’intervalle, n’est que tempérée par un pouvoir de contrôle mal constitué, facilement mis dans la main du pouvoir, soit par la pression sur les élections, soit par les intrigues parlementaires. Cela forme le système de gouvernement certainement le plus autoritaire que la France ait eu. Mais c’est une conséquence forcée de la révolution commencée par l’ancienne monarchie et achevée par 89. Il n’y a pas à résister à ce qui est devenu la constitution sociale même du pays. Le mérite de Thiers est de l’avoir bien vu, de s’y être accommodé d’abord par suite de son tempérament, ensuite à cause de son respect pour « la force des choses » et d’avoir mieux que personne décrit et défini cette situation. À tout ce que nous avons cité de lui sur cette question, ajoutons encore ceci qui est comme son dernier mot de l’histoire de la Révolution, du Consulat et de l’Empire : « Le passé nous avait montré des États provinciaux s’administrant eux-mêmes, et jouissant, pour ce qui concernait les intérêts locaux, d’une étendue de pouvoirs presque complète. Pourvu qu’en fait de subsides la part de l’État fût assurée, la Royauté laissait les provinces faire ce qu’elles voulaient… La Royauté s’adjugeait ainsi tout pouvoir quant aux affaires générales et abandonnait au pays le règlement des affaires locales. Ce contrat tacite devait tomber devant le grand phénomène de la Révolution française. Il n’était ni juste que la Royauté fût tout sur les destinées du pays, ni juste que les provinces fussent tout sur les affaires locales ; car les destinées du pays devaient être ramenées à la volonté du pays lui-même, comme les intérêts de province à son inspection… Le grand phénomène de l’Unité moderne devait consister en ceci que la Royauté renonçant à tout faire seule quant aux affaires générales, les provinces renonceraient de leur côté à tout faire seules quant aux affaires particulières, qu’elles se pénétreraient, en quelque sorte, mutuellement, et se confondraient dans une puissante unité dirigée par l’intelligence commune de la nation. »