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Francfort. — Belle ville bien propre et soignée, ce Francfort. Elle a été cité libre, presque république, jusqu’en 1866 ; et on prend soin de sa patrie. Mais jusque dans ses plus larges rues, dans le Zeil, il y a des traces de moyen âge, façades à pignons, couvertes de petites fenêtres sans volets ni persiennes, d’aspect gai et original : çà et là un vaste bâtiment de gothique neuf en grès rouge.

Trois grands sujets de bronze. — Gutenberg et les deux inventeurs de l’imprimerie. Bien plats et emphatiques ; on dirait les trois anabaptistes du Prophète ! — Schiller, debout en habit XVIIIe siècle, culotte à mollets, et grand manteau pour ennoblir, les yeux au ciel, un crayon dans une main, un livre dans l’autre, mélodramatique et déplaisant ; de l’antique, de l’idéal classique greffe sur du moderne. — Gœthe, aussi debout sur la place avec des arbres, la tête énergique et taillée à grands traits, mais le reste d’une lourdeur abominable. Dans les bas-reliefs de bronze autour du socle, Mignon et Dorothée sont bien ; le reste poncif et visant au sublime. Marchand de tableau en face. Ce sont des enluminures voyantes et grossières. Je trouve toujours dans l’Allemand un fond de maladresse, de lourdeur, de niaiserie, avec capacité d’enthousiasme et aspirations à l’absolu.

Revu la Judengasse. On en a démoli une partie, mais il en reste. L’intéressant, c’est la structure des maisons, on la voit mieux par les démolitions. Les murs n’ont pas six pouces d’épaisseur ; ce sont des cabanes à lapins. Revêtements d’ardoises, fenêtres qui se touchent et occupent toute la façade, étages en saillie les uns sur les autres, et le pêle-mêle le plus étrange de pièces et d’escaliers. Par un contraste curieux et qui montre que la vie la plus rabougrie et la plus encaissée se fait une poésie de son réduit, il y a des ornements fantastiques et charmants, des ferrures ouvragées et délicates représentant des arabesques, des fleurs, des animaux ; çà et là une statue de bois sculpté au premier montant d’un noir escalier intérieur. — Quelques têtes étranges, juives, je crois, de belles filles aux immenses cheveux crépelés et d’un roux intense, au regard hardi, de vieux brocanteurs comme ceux des légendes. Mais la plupart sont allemandes, éteintes, résignées, blafardes. Est-ce l’effet du climat, ou est-il entré beaucoup de sang chrétien dans leurs veines ?

Ce qui est le plus saillant pour moi dans les têtes allemandes, c’est cette espèce d’affaissement, d’usure, de résignation muette