Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pli de colline, sur le gris-pâle universel, un petit éclat de nacre enflammée, comme un long et fin morceau de coquille rose brisée. Puis deux et trois superposés, lumineux, ardents, tranchés à vif sur des arêtes et des brisures d’une netteté extraordinaire. Tout à l’entour, une aube brillante et claire qui va grandissant comme une gloire ; la flamme du soleil encore invisible atteint et change en or, banc par banc, tous les petits nuages calmes du bas du ciel. Il sort lui-même comme un bloc de fer rouge, et au-devant de lui la rivière, les canaux, toute la vallée fume : les oseraies et les verdures émergent de la brume mouvante qui les noie de sa blancheur.

Vers Forbach, jusqu’au-delà de Kreuznach, joli petit pays de montagnes point grandes ni sauvages ; cela semble une continuation du grès rouge des Vosges. Quelques débris de vieux châteaux sur des cimes, des ruisseaux nombreux, de minces rivières étalées sur un lit de cailloux blancs et d’herbes vertes. Ce sont elles qui me font le plus de plaisir ; l’eau épandue sous une cuirasse de délicates écailles, luisante, tournoyante, me calme toujours. La contrée est une Suisse en miniature, pleine d’accidents, de creux, de tournants imprévus, bien cultivée, boisée et fraiche. De même certaines parties de la Bavière : mêmes maisons à toits rouges ou ardoisés, et clochers d’églises en forme d’oignon et en plomb.

De Bingen à Mayence, on suit les bords du Rhin, puis jusqu’à Francfort grande plaine fertile entrecoupée de chênes et de pins. Dans la voiture, quatre dames qui, à trois reprises, voyant une personne de leur connaissance, puis disant adieu à une amie, se sont livrées à une pétulance de gestes, de baisers, de mouvements, d’intonations extraordinaires. Il y a sept ou huit embrassades, vingt baisers jetés du bout des doigts, et mouchoirs agités à la portière. Ce sont des femmes du monde ; d’ailleurs, c’est un signe de richesse ou d’aristocratie que d’être en première dans un chemin de fer allemand. Toilettes de bon goût. Une d’elles, montée à Mayence, est probablement violoniste (violon dans une boite à filets d’or et deux superbes bouquets) : très belle, grande, svelte, comme Mme Colonna il y a six ans, mais plus noble, cheveux blonds sous un long voile léger, yeux bleu-pâle, et un air de gaîté, d’innocence, d’expansion continue tout à fait charmante. Rarement j’ai vu s’abandonner davantage à la nature et plus heureusement.