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d’épaule, l’appui d’un des modernes rois de la finance. C’est pourquoi il a invité chez lui le puissant manieur d’argent, Lahonce, auquel il expose un hardi projet d’association que celui-ci semble écouler d’une oreille favorable. Bargas a le vent en poupe.

M. Capus excelle à pénétrer la psychologie très particulière de ces aventuriers, qui ne sont pas tout à fait des coquins, qui ont même des côtés de braves gens, mélange savoureux d’audace et de timidité, de rudesse et de bonhomie, de ruse et de candeur. Habile en affaires, Bargas s’est laissé duper comme un collégien dans une affaire qui était d’importance : celle de son mariage. Il a épousé, pour son honnêteté, une jeune fille pauvre mais déshonnête. Marianne a eu le passé le plus mouvementé. Un de ses amants, M. Duplay, un homme marié, qu’elle a affreusement trompé, est mort de chagrin. Avec l’autre, le joueur décavé d’Andolle, elle a continué les relations, même après son mariage. Le ménage Bargas, à l’heure où il nous est présenté, a les apparences d’un excellent ménage. Seulement il est clair que la base en est fragile et à la merci d’un incident.

L’incident se produira et ce sera toute la pièce. Pendant que Marianne a emmené le couple Lahonce au jardin, on annonce une solliciteuse. Bargas la reçoit. C’est celle même dont Marianne a dévasté le foyer. Veuve et sans ressources, Alice Duplay est en quête d’un gagne-pain. Bargas, qui ignore combien l’infortune de cette malheureuse le touche de près, lui trouvera un emploi dans les bureaux de Lahonce. Elle remercie et s’apprête à sortir, quand elle aperçoit Marianne qui rentre au salon. Les deux femmes se reconnaissent, se dévisagent et se toisent. La guerre est déclarée, guerre sourde, petite guerre, intime et sans merci, dans le cadre de la Grande Guerre qui, elle aussi, vient d’éclater.

Marianne, comme il est naturel, va s’efforcer d’éliminer Alice : elle y sera aidée par la complicité d’une baronne à tout faire. Ces dames sont instruites de bien des choses que beaucoup d’honnêtes gens ne savent pas ; mais elles en ignorent d’autres que tout le monde sait, et, par exemple, qu’il ne faut pas remuer l’eau trouble. Ce sont leurs habiletés qui mettent Noël Bargas sur la voie. Alors éclate entre le mari et la femme une très belle scène, la scène à faire et qu’on ne pouvait faire ni plus émouvante, ni surtout plus vraie. Car c’est une remarque qui vaut pour toute la pièce, mais qui nulle part n’est plus frappante que dans cette maîtresse scène : chacun des personnages y parle suivant sa nature, sans un mot qui sente la convention, sans une phrase qui soit pour