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causes, et que cette recherche des causes a pour condition l’établissement et la mise en cadre de petits faits vrais, exactement relevés et classés. Ah ! « les petits faits vrais, » que j’ai entendu souvent ces mots prononcés par votre oncle, avec cette ferveur intellectuelle que nous lui avons connue jusqu’au dernier jour ! C’est une formule très modeste, mais à la méditer, comme elle va loin !

C’est cette méthode de l’analyse psychologique à coups de petits faits que vous avez appliquée bien heureusement à l’une des personnalités les plus célèbres et demeurée la plus énigmatique peut-être de notre XVIIe siècle, et cela d’une façon si naturelle, si simple, que nulle part, — et c’est votre originalité, — l’appareil didactique n’est visible. La petite-fille du tragique Agrippa d’Aubigné, déchirée entre des parents de l’une et de l’autre religion, l’épouse avouée du difforme Scarron, l’épouse cachée du fastueux Louis XIV s’évoque devant nous, dans ses avatars successifs, avec la physionomie morale que lui ont faite ses hérédités, mais nuancée par les milieux où la placèrent tour à tour les prodigieux contrastes de sa destinée. Ces milieux, vous les constituez d’après la méthode tainienne, que je définissais tout à l’heure, mais avec une telle entente de la valeur significative de chaque détail que votre collection de « petits faits vrais » se trouve ainsi avoir une double portée. Ils expliquent la figure centrale et ils révèlent un morceau du siècle. Certains peintres de la Renaissance ont procédé de la sorte, en mettant comme fond à leurs portraits l’horizon familier où le personnage qui leur sert de modèle a vécu, où il s’est formé. Je songe à la salle célèbre de Brescia, sur les murs de laquelle Moretto a représenté les dames de la Maison Martinengo. Ces figures peintes se tiennent à distance l’une de l’autre, assises sur une balustrade de pierre, revêtue, là où elles sont, d’un tapis d’Orient. Les pieds et les jambes pendent du côté que l’on ne voit pas, en sorte que ces femmes ne montrent que leur visage et leur buste, disposition savante qui a permis au peintre de les individualiser davantage en faisant porter la lumière sur leurs traits et leurs gestes coutumiers. L’une tient un animal favori, un petit chien, l’autre joue avec un éventail de plumes, celle-ci manie un œilllet rouge, celle-là est en vieux rose avec des crevés blancs, sa voisine en jaune brodé de vert. Par derrière chacune se développe le jardin de son château, et le château lui-même, avec son architecture, son paysage de plaine ou de montagne, d’eaux vives ou de forêt. Quelle force de réalité donne au portrait cette juxtaposition du visage et da son atmosphère, de la créature humaine et de sa demeure ! J’ai