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rêve dont il n’est plus sorti que pour dire, au bout d’un quart d’heure, ce mot inattendu :

— Y en a qui croient que Dieu, c’est Jésus-Christ, ou bien le Saint-Esprit ; d’autres disent Mahomet. Moi, j’ai idée que c’est plutôt le soleil. Sur ! c’est lui qui fait tout vivre. Peut-être bien que c’est là, tout de même, que l’âme remonte après la mort…

Ainsi songeait le pêcheur breton qui ne sait pas lire ; ainsi se traduisait en lui l’instinct d’une race qui s’est tant préoccupée de la mort et de l’au-delà. S’étant posé à sa façon, dans ses longues journées de solitude en mer, les éternels problèmes, il revenait de lui-même au rêve des plus lointains ancêtres, aux idées du vieux naturalisme païen.

Le bleu sourd de la nuit a gagné tout l’espace. Je regardais poindre, une à une, imperceptiblement, de blanches étoiles, quand j’ai vu qu’il y en avait d’autres, très pareilles, par en bas, sur l’étendue : les phares, allumés sans doute depuis quelque temps déjà. Scintillations familières, non moins certaines, prévues, que celles des astres invariables, et qui semblent faire partie du même ordre général, puisqu’elles naissent, et s’effacent chaque jour avec elles. Dans l’Ouest, une brève, intermittente lumière : Eckmühl, à cinq lieues derrière nous, à la dernière pointe de cette terre dans l’Atlantique. Tout à l’heure, elle va grandir, se muer en comète tournoyante, au bas du ciel, au bord de notre monde. Au Sud-Est, une étincelle qui frissonne, annonce l’Ile aux Moutons, et, tout près d’elle, dirait-on, jaillissant par sursauts de l’horizon, l’éclat de Penfret : sanglant regard qui s’élance, retombe, et ne cesse pas de revenir.

La veillée des phares qui commence… Invisibles ou insignifiants pendant le jour, les voici qui se mettent à vivre. Ils ont pris possession de la mer et de la nuit. Sur l’obscure immensité, il n’y a plus qu’eux, qui semblent se jeter le garde à vous ! des sentinelles. Toute la nuit, jusqu’à l’heure secrète où, le soleil approchant, par dessous, de notre horizon, les eaux recommenceront de s’éclairer, plus seules et mystérieusement vierges sous le blême de l’aube, ces actives, vigilantes présences vont s’appeler, se répondre dans leur silencieux langage.

Et, peu à peu, se multiplient les autres feux, ceux du ciel, qui maintenant dessinent les immuables figures des constellations. Comme on retrouve en mer cette éternelle horlogerie des