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l’autre rivaux jusqu’à la haine, rivaux de gloire, rivaux d’ambition, rivaux d’opinion aussi : car, par horreur de se rencontrer, autant que par antagonisme de vues, c’est aux extrémités opposées qu’ils cherchent d’abord leur place ; et plus le premier déviera vers la réaction, plus le second se classera parmi les jacobins.

Avec une hâte impétueuse, ceux qui se sentaient majorité s’appliquèrent à marquer leur affranchissement. Ils avaient à nom mer un président : aux Cinq-Cents, Pichegru fut élu ; et, aux Anciens, un autre opposant au Directoire, Barbé-Marbois. Le même esprit guida le choix des secrétaires. À ces votes, un vote plus important s’ajouta. Aux termes de la Constitution, l’un des directeurs devait être remplacé. Pour sortir de charge, le sort avait désigné Letourneur. Quand il fallut lui donner un successeur, les Conseils avaient déjà usé leur première ardeur. Ils élurent Barthélémy, le négociateur de la paix de Bâle, plus versé dans la diplomatie que familiarisé avec la politique intérieure, plus instruit que résolu, plus pacifique qu’entreprenant, mais d’une droiture au-dessus de tout soupçon, et incapable de pactiser avec aucune iniquité.

Tandis que les urnes circulaient, les entretiens privés, les allées et venues, les premiers essais de groupement complétaient la signification des votes. Dans l’une et l’autre assemblée, le Directoire, appuyé par les survivants de la majorité thermidorienne et par les anciens jacobins, pouvait revendiquer un peu plus du tiers des suffrages. Le reste appartenait à l’opposition. Cette opposition elle-même se composait d’éléments divers. On y voyait quelques anciens conventionnels, comme Lanjuinais ou Henri Larivière, demeurés purs au milieu des excès. On y distinguait les députés élus aux élections de l’an III : aux Anciens, Portalis, Dupont de Nemours, le général Mathieu-Dumas, Barbé-Marbois ; aux Cinq-Cents, Siméon, Dumolard, Dubruel, Pastoret. On y discernait enfin les représentants récemment élus, les députés du Second Tiers comme on les appelait. À cette majorité, quel nom donner ? En elle, à cette heure, nul dessein factieux, nul vœu extra-légal. Députés du premier et du second tiers, tous se pouvaient désigner sous un nom générique : ils formaient le parti modéré, le parti constitutionnel. Y avait-il des royalistes ? Tout au plus, on eût pu en découvrir cinq ou six : tel Imbert-Colommès ; tel le général Willot. Quant à Pichegru, il était, à cette heure, plus suspect