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Il y avait eu des tribunaux qui joignaient au pouvoir judiciaire ; le pouvoir législatif. Mais il n’y avait aucune loi qui assurât la responsabilité des agents du pouvoir, la liberté de la presse, la liberté individuelle. » Ce que la Révolution a établi en France ou rendu nécessaire, ce sont ces deux choses : centralisation, système parlementaire. En d’autres termes, elle a déplacé la souveraineté, et déplacé la liberté.

Elle a déplacé la souveraineté. La souveraineté était dans le Roi, elle l’a mise dans la nation. On en conclut qu’elle a décentralisé, dispersé le pouvoir. C’est le contraire. Le pouvoir placé dans la nation ne peut se maintenir qu’à la condition de se resserrer, de se ramasser davantage. Placé dans le Roi, il peut se déléguer, se confier partiellement à un gouverneur de province, à une sorte de vassal, même à un maire élu de grande ville. Le Roi est si puissant qu’il communique le pouvoir et le retire à son gré. Placé dans la nation, le pouvoir ne peut s’exercer que par la nation tout entière, réunie par représentation quelque part. S’il l’était par une fraction de la nation sur cette fraction, par la Normandie sur la Normandie, par l’Anjou sur l’Anjou, il y aurait sécession, État dans l’État, puisqu’au-dessus de cette Normandie et de cet Anjou il n’y aurait rien, pas de roi de France pour représenter, pour constituer et pour maintenir l’unité. Le pouvoir mis dans la nation ne peut donc être exercé que par la nation tout entière sur la nation tout entière, avec égalité absolue et uniformité absolue de traitement à l’égard de tous. Il est exercé par la nation réunie par représentation en sa capitale, décidant tout pour tous, et nommant, directement ou indirectement, les fonctionnaires qui exécuteront tout selon sa loi unique.

Ce système est une nécessité. Le pouvoir se centralise quand il s’universalise, parce que, quand il s’universalise, s’il ne se centralisait pas, il s’annulerait. Il deviendrait, tout au plus, fédératif. Si les Girondins ont été, vaguement, fédératifs, c’est que, très intelligents, à peine la Révolution faite, ils ont vu que ce n’était qu’un système d’autorité plus resserré qui s’établissait nécessairement, et que, songeant à la liberté, ils ont voulu la sauver par un procédé de moindre cohésion. Mais ce procédé est infiniment dangereux à cause des voisins. L’unité est le premier besoin d’un peuple qui, depuis deux siècles, et pour longtemps encore, n’a guère que des ennemis.