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des autres, à un rang encore inférieur. Comme c’était sous cette forme que le « principe » était encore le plus défavorable à la France, c’est sous cette forme qu’il y fut adopté généralement.

Thiers ne comprit pas du tout cette générosité. Il chercha en quoi les grandes agglomérations pouvaient être utiles à notre pays et ne trouva point. Il sortit du silence en 1859[1] pour jeter le cri d’alarme. Il lui semblait que c’était une position assez bonne encore dans notre abaissement relatif que de n’avoir sur nos frontières que des peuples faibles, Belgique, Confédération germanique, Italie divisée, et que la nécessité n’était pas démontrée de créer à nos portes une Italie une et forte, et d’encourager ainsi la formation d’une Allemagne une et formidable.

Cette politique égoïste fut repoussée avec mépris, la France s’engagea avec enthousiasme dans l’expédition d’Italie, et la suite de tous nos malheurs, sans cesse prédits par Thiers, de 1860 à 1870, commença. Il ne s’épargna pas à les prévoir et à nous prémunir contre eux. Il put même voir, en 1866, qu’il jouait un peu moins le rôle de Cassandre, et que, sinon lui, du moins les événements commençaient à dessiller les yeux à ses contemporains. La France, pendant la guerre de 1866, fut favorable, sans doute, à la Prusse, à cause du « principe, » mais avec plus d’hésitation qu’elle ne l’avait été à l’Italie. Il était trop tard du reste et l’arrêt de déchéance de la France était prononcé. Il n’avait plus qu’à s’exécuter.

Personnellement, dans les dernières années du second Empire, Thiers avait repris en France une importance très considérable. Comme politique extérieure, il s’était montré clairvoyant, et, écartant les chimères, s’était placé sur le terrain de la défense nationale très longtemps avant tout le monde ; comme politique intérieure, il avait trouvé sa vraie et définitive assiette. Dans ses discours, dans ses conversations, dans le livre de Prévost-Paradol la France nouvelle qu’on savait bien qu’il avait inspiré, il avait marqué sa parfaite neutralité entre l’Empire, la Royauté et la République, à la condition que l’Empire, la Royauté ou la République fut strictement et franchement parlementaire. En d’autres termes, il était arrivé à la

  1. Voir son discours du 13 avril 1865 où il rappelle cette intervention.