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européenne, tant de fois dénoncée par lui, ne l’effrayait plus. On fut à la veille d’une catastrophe. Ce fut le Roi qui arrêta tout. Il refusa les armements, en d’autres termes il renvoya Thiers. Il est très probable que Louis-Philippe a reculé 1870 de trente ans. Il a rendu là un grand service à la France et aussi à Thiers.

De 1840 à 1848, Thiers fut le chef peu ardent, satirique, vigilant, éloquent, souvent amer, mais peu ardent de l’opposition constitutionnelle. Au fond, sur la question principale, il était du même avis que Guizot. Il ne souhaitait pas l’extension du suffrage, ou il n’en souhaitait qu’une minime qui n’eût satisfait personne. Il était bien revenu du reste de sa politique de 1840, et il disait en 1846, avec cette faculté d’oubli qui est peut-être nécessaire aux hommes d’Etat : « Je puis prouver par des discours de tribune que je n’ai pas partagé cette espérance de trouver en Orient un dédommagement de ce qui nous était arrivé en Occident. Je ne suis pas de ceux qui ont contribué à l’entraînement des esprits. Je n’accuse personne, je me borne à dire que je ne suis pas de ceux qui ont contribué à propager cette espérance qu’on trouverait en Orient un dédommagement de nos échecs d’Occident. »

Il était donc alors pour la politique pacifique à l’extérieur, et conservatrice libérale au dedans. Le seul point où il fut on désaccord profond avec le gouvernement était celui de » la réforme, non électorale, mais parlementaire. Elle consistait à écarter de la Chambre élective les fonctionnaires qui y étaient au nombre d’un tiers et en nombre toujours croissant, véritable scandale et véritable instrument de règne, auquel c’est la plus grande faute de Guizot d’avoir tenu.

1848 arriva, et le suffrage universel fut établi. Ce fut évidemment un grand malheur puisqu’il nous a valu l’Empire et ce qui s’en est suivi. Mais en attendant ce fut déjà un malheur en ce qu’il désorienta les esprits les plus fermes à l’ordinaire.

La nouveauté de la situation jeta Thiers et quelques autres dans une opposition stérile, maladroite et un peu incohérente. Rien n’empêchait Thiers d’être républicain conservateur dès le lendemain, le surlendemain, si l’on veut, du 24 février. Son « programme » était républicain, en vérité, comme je l’ai montré. Il n’avait pas besoin de la royauté, puisque, quand il