Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Europe. C’était l’idée de tout le monde à cette époque, et par parenthèse, on la trouve même au dixième volume de l’Histoire de la Révolution de Thiers. Il y a tant de choses différentes dans la Révolution qu’il n’y a rien de si étonnant à ce que de l’une de ces choses Napoléon ait été considéré comme le continuateur. Toujours est-il que Révolution et Empire, à cette époque, se confondaient dans les esprits. 1830 fut donc considéré par tous ceux qui l’avaient fait, excepté ceux qui en profitèrent, comme la revanche de 1815. Le drapeau tricolore, c’était le drapeau d’Austerlitz. De là à l’idée de recommencer l’Empire sans l’Empereur, de se précipiter sur l’Europe, d’appeler tous les peuples « à la liberté, » il n’y avait qu’un pas que toute l’opinion « libérale » de ce temps a franchi. Si, en 1830, le suffrage eut été plus étendu, si la petite bourgeoisie eût, voté, la guerre européenne eût éclaté. Personne ne doutait dans les classes moyennes de France, que la France ne pût facilement tenir tête à l’Europe.

C’est contre ces rêves que Guizot et Thiers ont lutté également de 1830 à 1840, et c’est aussi pourquoi tous les deux, je l’ai montré ailleurs à propos de Guizot, se sont si peu souciés de l’extension du suffrage.

En 1840, Thiers eut une véritable défaillance, un véritable oubli, et qui pouvait être funeste, de sa propre politique. Il eut comme un accès de politique napoléonienne. Il venait de ramener les cendres de Napoléon à Paris, ce qui était tellement irréprochable au point de vue patriotique, que les plus opposés à ce projet, comme Lamartine, n’avaient pu s’empêcher de le voter, mais ce qui était aussi peu opportun et aussi dangereux que possible au point de vue politique. Au milieu même de la recrudescence d’esprit napoléonien que ce retour triomphal avait excitée, les affaires d’Orient vinrent échauffer les esprits de tous les Français et même celui de M. Thiers. Méhémet-AIi, vice-roi d’Egypte, menaçait encore une fois Constantinople, et il n’y avait nul doute que ce très grand homme, si on ne l’entravait pas, ne rangeât tout l’Empire des Turcs sous sa loi. L’intérêt de la France n’était pas différent de l’intérêt de l’Europe dans cette question. L’intérêt de l’Europe est qu’aucune Puissance européenne ne soit maîtresse de Constantinople, point qui commande le passage d’Occident en Orient d’une part, de la Mer notre dans la Méditerranée d’autre part. C’est pour cela