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ni, à plus forte raison, de Condorcet. Il a, comme Voltaire, l’horreur du peuple, l’horreur des mouvements spontanés des foules, le mépris du gouvernement démocratique, et le respect de « la force, » parce que « la force » est une forme de la force des choses.

Quand il donna, vers vingt-cinq ans, son Histoire de la Révolution française, certains trouvèrent qu’il était bien favorable ou bien indulgent aux révolutionnaires, et cette opinion pouvait se soutenir. Mais on ne remarqua pas assez les traits de scepticisme dont le livre est plein, qui sont quelquefois très durs, toujours très significatifs, et qui pouvaient très bien faire prévoir l’homme de plus tard. A propos du « baiser Lamourette » : « Il n’y a plus de côté droit ni de côté gauche, et tous les députés sont indistinctement assis les uns près des autres… et l’on décide qu’on informera les provinces, l’armée et le roi de cet heureux événement. » — A propos d’une ovation des Jacobins à Robespierre et à Collot d’Herbois : « Quand le pouvoir a su s’assurer une soumission générale, il n’a qu’à laisser faire les âmes basses, elles viennent achever d’elles-mêmes l’œuvre de sa domination et y ajouter un culte et des honneurs divins. » — A propos de la religion de la Raison, de l’Etre Suprême et de Robespierre lui-même : « C’est au moment de l’abolition des cultes que les sectes abondent parce que le besoin impérieux de croire cherche à se repaitre d’autres illusions à défaut de celles qui sont détruites. » — A propos de l’adoration dont Robespierre était l’objet de la part d’un groupe de femmes : « L’empressement des femmes est toujours le symptôme le plus sûr de l’engouement du public. C’est elles qui, par leurs soins actifs, leurs discours, leurs sollicitudes, se chargent d’y ajouter le ridicule. » A propos de la mort de Louis XVI : « Des furieux se répandent dans Paris et vont jusqu’aux portes du Temple, montrer la brutale et fausse joie que la multitude manifeste à la naissance, à l’avènement, à la chute de tous les princes. »

Ce sont là des traits à la Voltaire, âpres et méprisants, qui, chez un autre, seraient des signes de découragement, chez ces esprits vifs et dans ces tempéraments actifs, n’altèrent aucunement le goût d’agir, mais marquent peu de confiance dans l’aptitude de l’homme au progrès indéfini. Et en effet Thiers ne croit pas au progrès. Vers la fin de sa vie, il aimait à dire, en présence des projets vastes de réformes profondes : « Notre siècle