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bien à fond, tel fut son dessein, dont il ne sortit pas, mais qu’il remplit. Sa vie, assez agitée, n’en est pas moins d’une belle unité qui fait qu’on l’envie. Toujours étudiant la France du XIXe siècle, ; de temps en temps la dirigeant, ce qui lui servait à la connaître, d’autres fois la pratiquant dans l’opposition, ce qui s’accommodait au même dessein avec un changement de point de vue, dans les intervalles de l’action, ou dans les loisirs forcés de la retraite, écrivant cette histoire avec l’expérience toujours augmentée de l’administrateur et de l’homme d’état, Thiers n’a pas cessé d’avoir les yeux fixés sur son pays vivant et la pensée occupée des conditions dans lesquelles son pays pouvait et devait vivre. Son autorité, pour ces raisons, est très grande. Il est le contemporain par excellence, l’homme de son temps de toutes les manières à la fois. Ni simple politicien, ni historien de cabinet, les deux ensemble constamment, ne séparant jamais l’un de l’autre, faisant son cours d’histoire contemporaine à la tribune, et écrivant son histoire avec des souvenirs d’administrateur, et ces preuves de fait, ces explications d’homme pratique que seul l’administrateur rompu aux allaires peut donner.

Il n’était pas tout à fait cela quand il donna son Histoire de la Révolution ; mais il l’était déjà. Très dépassée depuis comme connaissance minutieuse des faits, reprise d’autre part par des hommes d’une imagination beaucoup plus puissante et prestigieuse, cette Histoire a été assez méprisée. Elle vaut beaucoup mieux, en somme, que la plupart de celles qui l’ont suivie. Elle reste la plus claire, la plus limpide, la plus rapide et la moins passionnée. Car à l’époque où elle a été écrite, ni la religion de la dévolution française, phénomène très curieux du XIXe siècle français, n’était née encore, ni, par réaction, l’horreur fébrile de la Révolution française tout entière n’était passée à l’état endémique. On détestait les excès de la Révolution sans croire qu’ils fussent des choses inouïes dans l’histoire, et on acceptait les changements apportés par la Révolution sans croire qu’ils fussent une palingénésie et un bienfait du ciel à la terre. C’était bien là, l’état général des esprits. Le culte et l’exécration commençaient, devaient se développer aux environs de 1830 et après, mais n’étaient ni vifs comme ils l’avaient été en 1815, ni ardents comme ils devaient le devenir en 1830 et ensuite presque jusqu’à nos jours. C’était bien l’époque pour écrire une histoire de la Révolution française.