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dû résigner ses fonctions, il est resté dans la coulisse comme l’agent le plus actif du Roi, son conseiller le plus pernicieux, comme son âme damnée. Sa haine contre M. Vénizélos se traduit par les propos calomnieux et mensongers qu’elle lui inspire quand il parle de lui. Pour convaincre ses visiteurs du bien fondé de ses accusations, il leur présente des documents falsifiés, il invente des histoires et, comme le constate l’un d’eux, il leur donne neuf dixièmes de la vérité avec une si légère addition de fausseté qu’elle peut facilement passer avec le reste[1]. Cette attitude a fait de lui le confident de la Reine, dont les sentiments sont conformes aux siens.

Nous aurions voulu ne pas prononcer le nom de cette princesse, mais elle a été fatale à la Grèce, pour qui elle n’avait que mépris, et quand une femme assume dans l’Histoire un rôle égal au sien, l’Histoire ne peut ne pas parler d’elle. Elle s’est condamnée elle-même à figurer en marge des événements auxquels elle a participé.

Etant Allemande et appartenant à la maison de Hohenzollern, il serait injuste de lui reprocher d’avoir souhaité la victoire de sa patrie de naissance et la défaite des Gouvernements de l’Entente, quoique, en se mariant, elle eût cessé d’être princesse allemande et qu’il eût été de son devoir de n’être plus que reine de Grèce. La reine Elisabeth, duchesse en Bavière, lui donnait un admirable exemple en brisant, dès le début de la guerre, les liens qui l’attachaient à l’Allemagne et en déclarant qu’elle n’était plus que reine des Belges. Dans la bouche de Sophie une telle déclaration n’eût pas été sincère ; mais on pouvait attendre d’elle qu’elle ne traitât pas en ennemie cette France qui, de temps immémorial, avait soutenu et défendu la Grèce, l’avait aidée à conquérir son indépendance, à réparer ses malheurs, et créé en sa faveur par toute l’Europe une atmosphère de sympathie.

Dans les événements dont nous évoquons le souvenir, la femme de Constantin se distingue par une haine farouche contre M. Vénizélos et par conséquent contre ceux qui le soutiennent. Peut-être pourrait-on le lui pardonner, si cette haine n’eût atteint que lui. Mais la Reine qui n’aima jamais la France, n’avait pas attendu la guerre pour le laisser voir. En 1913, au cours des luttes balkaniques, organisant à Athènes une

  1. Voir le livre : Les Intrigues germaniques en Grèce, par Mrs Kennett Brown, traduit de l’anglais, page 57. Paris, Plon-Nourrit et Cie.