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diplomates l’ont conçu à la fin du XVIIIe siècle, à la veille de la Révolution que je préfère… »

Il avait saisi toute l’importance de la question danubienne, si l’Autriche se refusait à détacher son sort de celui de la Prusse. Il devinait l’avenir des peuples yougo-slaves « pour le jour où il faudra étreindre le monstre germanique entre les Latins et les Slaves. » « C’est en mettant notre main dans la main des Slaves du Sud et du Bas-Danube que nous préparerons la victoire contre le Babel germanique. Ils se préparent, ces vigoureux Serbes, ajoutait-il dans cette belle lettre à Mme Adam, à jouer le rôle de Piémontais d’Orient. Quand ils auront fait la Slavie du Sud, les Prussiens auront vécu comme dictateurs de l’Europe. »

Il savait aussi que cela ne suffirait pas. Il préparait de loin ses amis radicaux à l’idée d’une alliance avec l’autocratie moscovite. Il écrit à Ranc, le 10 février 1877 : « Une note de la chancellerie prussienne dont je vous ferai tenir le texte dès que possible, veut rejeter dans les pays slaves la dynastie du Habsbourg pour la dresser contre la Russie. Voilà notre rôle tout tracé ; suivre les destinées de la Russie, nous associer à ses horizons, les modifier au besoin. D’un autre côté, l’Allemagne gardera la suprématie dans l’alliance avec l’Autriche jusqu’au jour où le poids de sa brutalité provoquera, je l’espère, une réaction. Indiquer aux Habsbourg que les Hohenzollern se servent d’eux pour affermir la constitution de l’unité allemande, quel homme en France pourrait faire cela ?… Je voudrais tant réaliser mon ambition pour la grandeur de notre pays, conclure un accord franco-russe, dissoudre l’alliance Habsbourg-Hohenzollern, rapprocher l’Italie de la France… Tout, en Roumanie, hait le Hongrois et le Magyar. Malgré cette haine, la Roumanie oscillera entre les puissances germaniques et la Russie et indirectement avec la France. Serons-nous seulement témoins du drame qui se prépare ?… »

Ce drame, il n’entend pas le précipiter : il laisse à l’histoire le temps de mesurer ses pas.

Sa première pensée est pour l’armée. Avant tout, protéger la frontière et assurer l’avenir. Quand il obtient une première sécurité, il respire. Il s’écrie, le 13 janvier 1875 : « Quelle belle et immense victoire nous avons remportée aujourd’hui ! L’armée française est sauvée ; l’avenir est assuré ; la patrie se refera. Nous vivrons juste assez pour saluer les revanches du