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Miss Welland repoussa un peu sa chaise, pour permettre au jeune homme de s’approcher de sa cousine ; et immédiatement, et avec un peu d’ostentation, dans l’espoir que toute la salle verrait ce qu’il faisait, Archer s’assit auprès de la comtesse Olenska.

— Nous avons joué ensemble, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, en tournant vers lui ses yeux graves. Vous étiez un mauvais sujet et m’avez embrassée une fois derrière la porte ; mais c’était de votre cousin, Reggie Newland, qui ne s’occupait jamais de moi, que j’étais amoureuse.

Elle promena son regard sur la courbe étincelante des loges.

— Ah ! comme tout ici me rend le passé ! Je revois tous les hommes en costumes de gosses, et les femmes en petits pantalons brodés, dépassant leurs jupes courtes, dit-elle de son accent étrange, légèrement traînant, et ses yeux cherchèrent de nouveau ceux du jeune homme. Si agréable que fût leur expression, Archer fut choqué qu’ils reflétassent, de l’auguste tribunal qui à l’heure même la mettait en jugement, une image si peu respectueuse. Rien n’était de plus mauvais goût qu’une impertinence mal placée, et il répondit avec une certaine raideur :

— En effet, vous avez été absente très longtemps.

— Oh ! des siècles et des siècles ! Si longtemps, dit-elle, que je m’imagine déjà être morte et enterrée, et que cette chère vieille Académie me semble être le Paradis.

Ce qui, pour des raisons qu’il ne put définir, parut à Newland Archer une manière encore plus irrespectueuse de décrire la société de New-York.


III


Cela se passait invariablement de la même manière : jamais Mrs Julius Beaufort ne manquait de se montrer à l’Opéra le soir de son bal annuel. Pour donner ce bal, elle choisissait avec intention un jour de représentation, marquant ainsi qu’elle dominait de haut les soucis d’une maîtresse de maison, et se reposait sur un état-major de serviteurs stylés pour l’organisation de chaque détail de la réception.

La maison des Beaufort était une des rares habitations de New-York qui possédassent une salle de bal. À une époque où il