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de valets qui portaient des lanternes. Le bruit du pétard avait été entendu. Les gens survinrent, demandant ce qu’il y avait. On leur dit : « Ce n’est rien, mes bons amis, retirez-vous et vous couchez ; le chien et la chienne sont morts. » Soit que ces braves gens fussent épouvantés ou qu’ils fussent contents, ils firent comme on leur disait de faire et ne bougèrent pas.

A quelque temps de là, Gilbert Liron se pavanait, une épée dorée au côté. Quelqu’un lui demanda : « Liron, d’où te vient si belle épée ? — Monsieur, l’homme et l’épée sont à votre service. » Et, gracieux, Liron tire l’épée du fourreau, la présente au curieux, lequel reprend : « L’avais-tu pas chez M. d’Alègre ? C’est l’épée d’un traître ! » Et il en perce Liron, sans plus de procès. Les autres conjurés furent pareillement tués ou pendus.

Quand mourut Astrée d’une si tragique manière, il y avait sept ans que Ronsard était mort. Son triste sort n’a pas été plaint comme avait été sa beauté chantée. La princesse de Conti, à qui l’on attribue l’Histoire des amours d’Henri IV, enterre ainsi la dame d’Estrées : « Comme elle avait assez mal vécu, il était juste qu’elle reçût quelque punition de ses crimes. » C’est transformer en justiciers, un peu plus vite qu’il ne faudrait, des meurtriers.

Et les siècles passèrent ; on ne songea plus à la dame d’Estrées, on ne sut pas qu’elle avait été Astrée durant une saison de sa jeunesse. M. Charlier lui a rendu ses titres à la compassion des lettrés et à leur souvenir un peu mêlé d’inquiétude, un peu mêlé d’horreur et d’amitié. M. Pierre de Vaissière a publié le portrait de la dame d’Estrées qu’il ne savait pas qui avait été Astrée. C’est un crayon, gardé à la Bibliothèque nationale et du genre de ceux que l’on range parmi l’école de Clouet. Le visage est beau, sans doute. Les cheveux d’or frisé ne se voient guère, à cause de la coiffe rigide, et laissent un front large et haut, très dénudé selon la mode. Les yeux ont beaucoup de vivacité, moins de douceur. Le nez est droit et long : la bouche a quelque chose de terrible, une extrême minceur de la lèvre d’en haut et une finesse de dessin qui est dure : il n’y a pas du tout d’ombre aux commissures et l’on n’imagine pas que cette bouche ait pu sourire. Astrée était, semble-t-il, plus belle que charmante.

M. Charlier se demande si Ronsard l’a vraiment aimée. Claude Binet compte les Sonnets et madrigals pour Astrée au nombre des poèmes que forgeait Ronsard « sur le commandement des Grands. » Voilà ce que M. Charlier n’admet pas, non plus que M. Laumonier, savant éditeur de Binet. S’il en était ainsi, remarquent ces deux